En collaboration avec les Maisons Arc-en-Ciel et nos associations membres, Prisme a co-construit un mémorandum comprenant dix axes de revendications pour une meilleure intégration des thématiques LGBTQIA+ dans l'éducation et la formation. Notre premier dossier thématique porte sur l'axe « éducation et formation » et aborde deux volets clés : l'éducation et la formation des professionnel·les.
Pour le volet santé mentale et physique, nous avons souligné plusieurs points essentiels : l'universalisation des soins invisibilise les besoins spécifiques des personnes LGBTQIA+, la formation des médecins sur ces thématiques reste insuffisante, et une distance critique face aux savoirs médicaux manque cruellement.
Note préalable : nous prenons en compte dans ce chapitre tant les formations académiques, que les études supérieures et les formations professionnelles continues.
Notre travail de recherche s’est fondé à la fois sur des entretiens qualitatifs auprès de professionnel·les des secteurs de la santé (physique et mentale), de la justice et de la police, sur des témoignages de personnes concernées et sur la lecture de publications scientifiques en ces matières.
L'analyse sociologique des questions de santé physique et mentale des personnes LGBTQIA+ met en lumière des enjeux importants au sein du système médical, souvent imprégné d'une vision universaliste qui tend à négliger les spécificités de ces publics. Les points qui suivront ont été élaborés avec l’aide de médecins et thérapeutes spécialisé·es dans les thématiques LGBTQIA+.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à rappeler l’un des points centraux de notre mémorandum en matière de santé physique et mentale : la pénurie de praticien·nes formé·es à ces thématiques renforcent une vision psychiatrisante des publics LGBTQIA+, conduisant à les considérer comme des anomalies alors que leurs problèmes de santé physique et/ou mentale sont majoritairement liés au fait que la médecine et la psychiatrie telles qu’elles sont majoritairement pratiqué·es à l’heure actuelle ne leur permettent pas d’être inclus·es. Cela a pour conséquence l’émergence de problèmes de santé mentale (tels que la dépression) et l’absence de traitement adéquat de certains problèmes de santé physique (notamment la prévention des IST, le traitement des pathologies physiques liées à l’intersexuation, etc.)1
Universalisation des soins de santé et invisibilisation des besoins spécifiques des patient·es LGBTQIA+
- Une approche universaliste : L'un des principaux problèmes est l'approche universaliste adoptée par le corps médical et psychiatrique, qui considère les patient·es LGBTQIA+ comme des "patient·es lambda". Cette perspective, bien qu'ayant pour intention de traiter tous les patients de manière égale, manque sa cible puisqu’un traitement égalitaire des patient·es LGBTQIA+ repose nécessairement sur la prise en compte de leurs spécificités. Comme l'explique l’un des psychiatres interrogés, « si l’on considère les personnes LGBTQIA+ comme des patients lambda, on passe à côté de plein de nuances et d’informations potentiellement très importantes. Les expériences des personnes LGBTQIA+ sont souvent marquées par des discriminations, des stigmatisations, et des défis spécifiques en matière de santé mentale et physique. Ignorer ces aspects peut conduire à une prise en charge inadéquate, voire carrément préjudiciable. »
- La diversité des vécus : La vision exposée au point précédent est également relevée par un autre médecin que nous avons interrogé, insistant sur la diversité des réalités des personnes LGBTQIA+. « Les personnes trans et intersexes, par exemple, ont des vécus très différents. Les personnes intersexes font face à des violences liées à une volonté de normalisation de leurs corps, tandis que les personnes transgenres se heurtent au déni de leur identité de genre basé sur des arguments biologiques. » Cette diversité de vécus souligne la nécessité d'une approche médicale qui reconnaisse et respecte les spécificités de chaque individu, plutôt que d'imposer un modèle universalisant et délétère pour toute personne n’y correspondant pas.
Difficultés médicales spécifiques aux publics trans* et inter*
Le point précédent nous conduit à embrayer sur les publics les plus fréquemment précarisés en termes de suivi médical2
- L’invisibilisation des personnes intersexes : Le manque d'informations et de recherches sur les intersexuations est un problème majeur dans le domaine médical et cela se reflète dans les pratiques. En effet, les chirurgies d'assignation à un genre sont souvent pratiquées sans consentement éclairé de la personne concernée3. Ces interventions sont réalisées dans une optique de normalisation, sans considération pour l'identité ou le bien-être à long terme des personnes concernées. En outre, la méconnaissance des conséquences potentiellement pathologiques liées à la variation des caractéristiques sexuées entraîne de sérieux dommages chez les personnes concernées sans que la médecine soit capable d’en comprendre les causes. Tout cela illustre une approche biomédicale centrée sur la conformité aux normes de genre binaires, au détriment de l'intégrité corporelle et de l'autonomie des personnes intersexes.
- Le manque de connaissance des traitements hormonaux transaffirmatifs : L’un des médecins interrogés, spécialiste des questions trans* et inter* souligne l’importance de développer les recherches sérieuses sur les traitements de réassignation afin de mettre à disposition des données sur le long terme. En effet, le manque d’informations sur ces sujets a tendance à alimenter, chez les médecins et chez les parents d’enfants et d’adolescent·es transgenre une méfiance face aux traitements hormonaux, entravant la possibilité d’une prise en charge éclairée et sécurisante dans le parcours de transition.4
Formation inadéquate des médecins aux thématiques LGBTQIA+
L'absence de formation systématique aux problématiques LGBTQIA+ dans les cursus médicaux représente un autre obstacle majeur. En effet, ces thématiques ne sont abordées que dans le cadre de cours optionnels, donc choisis par des étudiant·es déjà sensibilisé·es aux problématiques liées au genre. Par ailleurs, il est ressorti de nos entretiens que ces cours arrivent tard dans le cursus universitaire et que le nombre d’heure dispensées est très faible. Cette lacune au niveau des formations académiques a deux conséquences majeures :
- Les médecins et psychiatres non formés aux thématiques liées au genre ne sont pas en mesure de répondre aux besoins spécifiques des patient·es LGBTQIA+. À titre d’exemples : les problèmes de santé mentale liés à la discrimination envers les communautés LGBTQIA+, la prise en charge des personnes transgenres dans leur parcours de réassignation, ou encore les questions relatives à la prévention en matière santé sexuelle.
- Le faible nombre de praticien·nes en santé physique et mentale formé·es aux thématiques LGBTQIA+ se retrouve dans l’impossibilité de prendre en charge toutes les personnes concernées. Corrolaire de cette situation, la difficulté voire l’impossibilité pour de nombreuses personnes LGBTQIA+ de trouver des praticiens "safe". En conséquence, certaines personnes peuvent être dissuadées de chercher des soins, augmentant ainsi les risques pour leur santé.
- L’ignorance médicale majoritaire sur ces thématiques est renforcée par une tendance à privilégier les connaissances acquises au détriment de l'ouverture à de nouvelles perspectives5.
Manque de mise en relation des savoirs médicaux avec les sciences humaines
La formation médicale6 traditionnelle accorde peu d'attention aux sciences humaines, notamment la psychologie et la sociologie, qui pourraient pourtant enrichir la relation médecin-patient et améliorer l'efficacité des parcours de soins. Des cours de psychologie permettraient d'instaurer un dialogue plus empathique et compréhensif avec les patients LGBTQIA+, tandis que la sociologie offrirait aux médecins une meilleure compréhension des réalités sociales et de l'environnement de leurs patients. Envisager la relation de soin dans sa globalité, en intégrant ces disciplines, favoriserait une approche plus holistique, plus compréhensive et plus adaptative.
Manque de réflexions critique et épistémologique
La formation médicale manque également d'une distance critique, qui pourrait être cultivée à travers des cours d'épistémologie. Cette discipline permettrait de questionner les savoirs et leur pertinence face à des cas individuels, notamment ceux des patients LGBTQIA+. Comme le soulignent deux médecins avec lesquels nous nous sommes entretenu·es, le modèle du "patient-type", souvent basé sur un homme cisgenre, hétérosexuel et blanc, est largement insuffisant pour représenter la diversité des corps et des expériences. La reconnaissance du fait que la médecine s'est historiquement construite sur un modèle patriarcal, hétéronormatif et occidentalo-centré, pourrait ouvrir la voie à un changement de paradigme en faveur d’une médecine plus consciente des diversités, et donc plus inclusive.
Entrisme, reproduction sociale et mimétisme
Le milieu médical est également caractérisé par des dynamiques d'entrisme, de reproduction sociale et de mimétisme. Les médecins tendent à reproduire les pratiques et les connaissances de leurs pairs de confiance. Ce phénomène peut avoir des effets positifs si les bonnes pratiques en matière de réponse médicale aux personnes LGBTQIA+ se diffusent de cette manière. Cela encouragerait les médecins non formés à s'intéresser aux thématiques LGBTQIA+ et à offrir un suivi adapté et de qualité. Cependant, en l'absence de sensibilisation initiale, il est peu probable que ces pratiques se propagent spontanément.
Recommandations politiques
- Élaboration d’un plan de restructuration des cursus de médecine et de psychiatrie. Il est nécessaire de repenser la formation médicale pour y inclure des cours obligatoires sur les thématiques LGBTQIA+ dès les premières années d’études ainsi que des cours de sciences humaines et d’épistémologie régulièrement au cours de la formation et le plus tôt possible dans le cursus afin de permettre aux étudiant·es de questionner les savoirs transmis et de les aligner aux enjeux sociétaux contemporains.
- Nécessité d'une expertise académique et de recherches plus solides. Il est crucial de développer une expertise académique plus solide dans les domaines liés au genre et à la sexualité. Actuellement, la recherche universitaire sur ces thématiques est trop peu développée, ce qui limite la disponibilité de données et d'outils pour une prise en charge adéquate. La médecine a tendance à se tourner vers elle-même pour valider ses connaissances, sans remettre en question ses acquis no chercher à combler ses lacunes en s'inspirant de la littérature en dehors de son propre champ.
- Valoriser les formations continues, l’auto-formation et responsabilisation des médecins. Il est urgent de sensibiliser les médecins à l'importance de se former tout au long de leur carrière aux thématiques liées au genre et à la sexualité. Cela passe par la consultation de la littérature spécialisée, la participation à des formations spécifiques dispensées par des associations ou organismes de formation expert·es en ces matières, et bien entendu, par l'écoute des personnes concernées. Une telle démarche nécessite une ouverture d'esprit et une volonté de remettre en question les modèles de pensée traditionnels. Nous pensons que des initiatives politiques pourraient encourager la formation continue et l'auto-éducation des praticien·nes de la santé physique et mentale et par conséquent une meilleure prise en charge des publics LGBTQIA+.
- Mise en place d’un cahier de recommandations et de partage des bonnes pratiques à destination des praticien·nes non formé·es aux thématiques LGBTQIA+. La mise en place d’un tel dispositif repose avant tout sur l’impulsion des pouvoirs publics en mettant en place et en finançant des réflexions collectives regroupant des praticien·nes de la santé physiques et mentale formé·es aux thématiques ainsi que des patient·es expert·es, des associations et des personnes concernées par les thématiques.
Conclusion
L'analyse critique de ces enjeux révèle un système de santé physique et mentale encore largement aveugle aux besoins spécifiques des personnes LGBTQIA+. Pour répondre à ces défis, il est essentiel de repenser la formation médicale et psychiatrique en y intégrant des modules obligatoires sur les questions LGBTQIA+, en renforçant ses liens avec les sciences humaines, et en encourageant une réflexion épistémologique. Ces changements permettraient de dépasser le modèle universalisant et de favoriser l'émergence d'une médecine véritablement inclusive, capable de répondre aux diversités des corps et des vécus. Cela implique également de reconnaître et de déconstruire les dynamiques de pouvoir et les biais structurels présents dans le système de santé, afin d'améliorer la qualité de vie et de soins des personnes LGBTQIA+.
Sources
(1) Voir les axes 4 et 5 (santé physique et santé mentale) de notre mémorandum : https://www.federation-prisme.be/plaidoyer-2
(2) Dans notre mémorandum nous parlons également des difficultés rencontrées par les personnes LGBTQIA+ en matière de santé sexuelle et de prévention des IST (Axe 4). La présente enquête n’a pas fait émergé la nécessité d’approfondir ces recommandations manifestement assez claires.
(3) Voir notre communiqué demandant l’interdiction des mutilations sur les mineur·es intersexe : https://www.federation-prisme.be/actualite/stop-aux-mutilations-sur-les-personnes-intersexes
(4) Nous travaillons actuellement à un dossier thématique sur les transidentités et les intersexuations. C’est la raison pour laquelle nous ne développerons pas davantage ces deux thématiques dans le présent document.
(5) Voir infra: “Entrisme, reproduction sociale et mimétisme »
(6) Quand nous parlons de la formation médicale, nous incluons la formation psychiatrique étant donné que ces deux formations sont regroupées sous un même cursus de base (à savoir les six années de médecine) et que la spécialisation en psychiatrie, comme le soulignait un psychiatre interrogé, n’aborde pas non plus les thématiques LGBTQIA+ dans son cursus.