Dossiers de recommandations : la formation des professionnel·les dans le monde de la justice et de la police

En collaboration avec les Maisons Arc-en-Ciel et nos associations membres, Prisme a co-construit un mémorandum comprenant dix axes de revendications pour une meilleure intégration des thématiques LGBTQIA+ dans l'éducation et la formation. Notre premier dossier thématique porte sur l'axe « éducation et formation » et aborde deux volets clés : l'éducation et la formation des professionnel·les.

Pour le volet magistrature, avocats et police, nous avons mis en avant les enjeux suivants : les discours de haine présentent des complexités et défis importants, la formation et la spécialisation des professionnel·les sont des nécessités incontournables.

Nos entretiens avec des membres de la police, de l’avocature et de la magistrature mettent en lumière les défis et lacunes structurelles dans le traitement des questions LGBTQIA+ au sein des systèmes judiciaire et policier. Ces entretiens révèlent un manque de formation, une insuffisance des ressources et des mécanismes inadaptés pour faire face aux discriminations et aux discours de haine ciblant les personnes LGBTQIA+.

Lacunes dans la Formation Juridique et Policière

Dans les cursus de droit, notamment en droit pénal spécial, les discours de haine et les infractions spécifiques envers les personnes LGBTQIA+ ne sont pas suffisamment abordés. La formation se concentre principalement sur les éléments constitutifs d’infraction, négligeant la diversité des infractions pénales, y compris celles motivées par la haine ou la discrimination. Cette omission laisse les futurs avocat·es, magistrat·es et policier·es sans les outils nécessaires tant pour identifier et traiter adéquatement ces infractions que pour accueillir les victimes.

Les policier·es, avocat·es et magistrat·es se retrouvent souvent à devoir combler ces lacunes par auto-formation et apprentissage sur le terrain. Le problème, c’est que, comme pour le personnel de la santé, ce sont des personnes intéressées ou concernées qui prennent la peine de faire ce travail de recherche. Cette situation reflète un système où la sensibilisation et la formation sur les thématiques LGBTQIA+ sont largement insuffisantes. Par ailleurs, comme en témoignent les personnes interrogées, les ressources disponibles sur ces thématiques sont limitées, amplifiant le manque d’attention aux discriminations spécifiques dans le contexte judiciaire.

Discours de haine et crimes de haine en raison de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité/expression de genre: complexités et défis

Les discours de haine sont théoriquement plus facilement identifiables pour les policier·es, grâce à des directives de politique criminelle claires. Cependant, le manque de sensibilisation et de formation de la police à ces thématiques entraîne une reconnaissance et une prise en charge inégales. Concernant les crimes et délits de haine, la situation est encore plus complexe, car l'attention est souvent focalisée sur l’infraction principale, reléguant au second plan la motivation discriminatoire. Ce biais limite la capacité des forces de l'ordre et du système judiciaire à traiter ces crimes de manière complète et adéquate.

Par ailleurs, et toujours d’après les professionnel·les de terrain, le système d’encodage actuel dans les institutions policières et judiciaires ne permet pas de distinguer les différentes formes de discrimination. Cela constitue un obstacle majeur à la collecte de données précises sur les crimes et discriminations LGBTQIA+phobes. L'absence de telles données empêche une compréhension claire de l'ampleur du problème et rend difficile l'élaboration de politiques efficaces pour y faire face.

Formation et spécialisation : une nécessité incontournable

La formation des avocat·es, magistrat·es et policier·es sur les thématiques LGBTQIA+ et sur la spécificité des discrimination dont sont victimes ces publics est largement insuffisante et n’inclut pas de composantes continues ou d’actualisation régulière. Cette déficience est préoccupante car elle limite la capacité des professionnel·les à traiter ces affaires  et à accueillir les victimes avec la sensibilité et la compétence nécessaires. Par ailleurs, comme le souligne l'un de nos entretiens, « il est impératif de créer une unité spécialisée et/ou des chambres spécialisées pour ces affaires ». En effet, actuellement, la dispersion des dossiers entre plusieurs magistrat·es entraîne des lacunes de traitement, reflétant une procédure encore bancale.

Il est par conséquent essentiel d'avoir au moins un·e policier·e référent·e LGBTQIA+ dans chaque zone de police, une figure capable de sensibiliser ses collègues et de servir de point d’accueil et de contact pour les victimes de discriminations et crimes LGBTQIA+phobes. Pour ce faire, il semble incontournable inclure dans la formation des policier·es un cours spécifique sur les discriminations LGBTQIA+. Ce type de cours devrait également faire partie intégrante du cursus de droit afin d’assurer une cohérence entre la première ligne assurée par la fonction de police et la suite du processus assurée par les cours et tribunaux. Cette intégration contribuerait à une meilleure compréhension et à une meilleure prise en charge des infractions liées aux crimes, délits et discriminations LGBTQIA+phobes.

Vers une approche globale et humaine : recommandations politiques

L'analyse critique de ces entretiens, couplée aux recommandations de Prisme, suggère plusieurs axes d'amélioration :

  • Intégration des sciences humaines au cursus de droit et à la formation de police: La diversité est un fait social qui devrait être intégré dans la formation des professionnels du droit et des forces de l’ordre. Les sciences humaines peuvent fournir une compréhension plus large et nuancée des phénomènes sociaux, y compris des discriminations et des violences auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA+.
  • Formation continue et épistémologie : Il est nécessaire d’instaurer également une formation continue pour les policier·es, avocat·es et magistrat·es sur les thématiques LGBTQIA+ et de l’assortir d’une sensibilisation à l'épistémologie qui permettrait de questionner les connaissances et les pratiques en place, encourageant ainsi une remise en question des biais existants. Les policier·es et magistrat·es sont souvent perçus comme des figures d'autorité, mais sans formation spécifique aux thématiques LGBTQIA+, cette autorité peut devenir un obstacle à une prise en charge juste et éclairée. En lien direct avec cet obstacle intervient une méfiance des minorités envers la police et la justice. Nous estimons que la restauration d’un lien de confiance passera nécessairement par une amélioration de la prise en charge de ces dossiers et donc, par une formation adéquate.  
  • Intervention de "citoyen·nes expert·es" : Inspirée par le modèle du « patient-expert » pour comprendre les enjeux liés aux maladies rares, nous pourrions envisager l’intervention de « citoyen·nes expert·es » pour former les professionnel·les de la justice et de la police aux réalités vécues par les personnes LGBTQIA+. En d’autres termes, impliquer directement les personnes concernées dans la formation contribuerait à remettre leur voix au cœur du processus.
  • Mise en place d’un cahier de recommandations pour un accueil plus juste des publics LGBTQIA+ dans les services policiers et judiciaires. En vue de standardiser les bonnes pratiques et offrir un cadre de référence pour les professionnel·les des fonctions de police et de justice, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer : celui de mettre en place les financements et les espaces de discussion entre la police, l’avocature, la magistrature et les associations et citoyen·nes LGBTQIA+.  
  • Création d’unités spéciales consacrées aux crimes et délits LGBTQIA+phobes à tous les niveaux des structures exécutive et judiciaire.
  • Correctionnalisation des discours de haine LGBTQIA+phobes afin de rendre la procédure pénale en ces matières moins fastidieuse. Actuellement, l’article 150 de la Constitution1 prévoit le recours au jury populaire (et donc à la cour d’assises) en toutes matières criminelles et pour les délits de presse à l’exception des discours racistes et xénophobes. Nous estimons que les discours LGBTQIA+-phobes devraient bénéficier de la même facilitation de procédure car le fait de devoir recourir à la cour d’assises ralentit le processus et conduit souvent au classement sans suite des affaires.  
  • Systématiser la reconnaissance du critère aggravant d’homophobie (et de LGBTQIA+phobie de manière générale) pour les crimes et délits commis en raison de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’expression de genre. Actuellement, ce critère reste accessoire voire non reconnu dans les décisions rendues par la justice. Bien entendu, cela s’accompagne nécessairement d’une meilleure compréhension des thématiques LGBTQIA+ (et donc d’une formation adéquate) par les magistrat·es.  
  • Envisager sérieusement la mise en place d’un point de contact unique pour le signalement et la prise en charge, des discriminations, crimes et délits LGBTQIA+phobes avec un couplage vers les autorités compétentes (police, justice, Unia, IEFH). En effet, il est réellement traumatisant pour les victimes d’avoir à répéter plusieurs fois le récit des violences subies. Par ailleurs les difficultés liées à l’accueil adéquat des personnes LGBTQIA+ dans les services de polices ainsi que les lacunes en termes de traitement des affaires judiciaires à caractère LGBTQIA+phobes empêche certaines personnes de porter plainte. Une manière de répondre à ce problème serait d’étendre le champ de compétence des CPVS2. Actuellement, ces centres prennent en charge les cas de violence et la centralisation y est de mise, ce qui fait en sorte que la victime n’ait à raconter son histoire qu’une fois à une équipe de professionnel·les spécialisé·es qui se chargent ensuite de transférer le dossier aux autorités compétentes pour que le processus judiciaire et social suive son cours. L’extension de compétences susmentionnée consisterait à prendre aussi en charge les cas de discrimination, harcèlement, etc.
Conclusion  

Nos entretiens révèlent un système judiciaire et policier qui manque cruellement de formation, de sensibilisation, et de ressources pour traiter les questions LGBTQIA+ de manière adéquate. La difficulté d’identification du caractère LGBTQIA+phobe de certains discours, discriminations et crimes, l'insuffisance de la formation en ces matières et l’absence de spécialisation entraînent des lacunes significatives dans le traitement des affaires impliquant des personnes LGBTQIA+.

Pour pallier ces insuffisances, il est essentiel d’intégrer plus de sciences humaines dans les cursus de droit et de police, d'instituer des formations continues plus complètes, de créer des unités spécialisées dans les affaires de LGBTQIA+phobie et de placer la voix des personnes concernées au processus de formation et de sensibilisation. Ainsi, le système judiciaire et policier pourrait devenir plus inclusif et plus efficace dans ses missions.

Sources

(1) « Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l'exception des délits de presse inspirés par le racisme et la xénophobie. » 

(2) Centre de prise en charge des violences sexuelles : https://cpvs.belgium.be/fr

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