La formation d'un gouvernement dans les prochaines semaines signifie aussi programme de législature. Arc-en-ciel Wallonie et la Coordination Holebi Bruxelles ont présenté un mémorandum au formateur Elio Di Rupo et aux négociateurs. Les préoccupations des LGBT ne doivent pas être oubliées.
Depuis plus de 20 ans, l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie. Mais plus d’un siècle de fourvoiement scientifique, médical et juridique ne s’efface pas du jour au lendemain. La Belgique a connu depuis le début du 21e siècle des avancées significatives qui ont fait sortir l’homosexualité du registre du fléau social. Pour autant, les personnes lesbiennes, gaies, bisexuel-le-s, transgenres et intersexes (LGBTI), sont toujours l’objet, à titre individuel, de préjugés importants, nuisant à leur intégration sociale, à leur vie familiale, à leur santé, à leur bien-être et à leur carrière professionnelle. À titre collectif, la revendication associative LGBTI est d’abord considérée comme particularisante. Ces associations, dont CHB et Arc-en-Ciel Wallonie se veulent être les porte-parole, n’existent pourtant qu’en raison du jugement social qui au fil des derniers siècles a érigé les catégories de parias dans lesquelles sont répertoriés les LGBTI. Après avoir effacé un certain nombre de discriminations de notre système juridique – en particulier le code civil – le gouvernement fédéral devra, dans cette législature, poursuivre la lutte contre les discriminations de fait, continuer à moderniser le droit de la famille, inciter via les instruments de santé publique à un profond aggiornamento du secteur médical et veiller sur la scène internationale et européenne à l’amélioration des conditions de vie des LGBTI.
Combattre les discriminations est une question de volonté politique de faire évoluer les mentalités et d’instaurer une société ouverte à la diversité. Nous demandons au nouveau gouvernement de renforcer l’action entreprise par les gouvernements précédents.
Par ailleurs, il faut octroyer des moyens suffisants au Centre pour l'Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme, aux services de référence et points d’appui de première ligne reconnus par le Centre, qui veillent au respect des lois anti-discrimination, ainsi qu’à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, compétent pour les identités et les expressions de genres.
Les modèles familiaux sont aujourd’hui très variés. À côté de la famille constituée classiquement par le mariage coexistent d’autres types de familles : parents isolés, cohabitants, de même sexe ou non, familles recomposées, familles homoparentales, etc.
La cohabitation légale et l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne règlent pas toutes les situations, en particulier dans le cadre de la protection des enfants. Il faut créer un nouveau statut de parent social. Le terme de parent social désigne la personne qui, à côté du ou des parents, joue un rôle important dans l’éducation de l’enfant. Il peut s’agir du conjoint d’un des parents ou des membres de la famille proche (grands-parents, tantes ou oncles, frères ou sœurs). Il doit pouvoir exercer certaines responsabilités aujourd’hui réservées aux parents : signer le bulletin scolaire, aller chercher l’enfant à l’école, l’emmener en vacances, etc. En cas de décès du parent ou de séparation, ce parent social doit pouvoir garder un contact avec les enfants qu’il a contribué à élever et obtenir éventuellement un droit de garde. L’enfant doit aussi pouvoir réclamer une pension alimentaire à celui-ci.
Des propositions de loi en ce sens ont déjà été déposées en 2003 par Sabine de Bethune (CD&V), en 2005 par Melchior Wathelet (cdH), et plusieurs ont été rédigées en 2007 (Christophe Collignon (PS), Clotilde Nyssens (cdH), Jean-Paul Procureur (cdH) et Guy Swennen (Sp.a)) mais aucune n’a aboutit à ce jour.
Nous demandons aux autorités fédérales d’instaurer un statut de parent social assorti de droits et devoirs respectifs entre un enfant et une personne qui participe à son éducation à côté ou en suppléance du ou des parent(s). Il est par ailleurs nécessaire d’instaurer un cadre juridique spécifique de la co-parentalité, dans le cas où le projet parental implique dès l’origine plus de deux parents.
La procédure d’adoption imposée aux couples lesbiens ayant eu recours à la procréation médicalement assistée et aux couples gais ayant eu recours à une mère porteuse est lourde, longue et coûteuse. Elle n’est pas adaptée à ces réalités spécifiques. Elle s’accompagne de cycles inadaptés de préparation à l’adoption. Elle n’ouvre pas l’accès aux droits corollaires, en particulier le congé d’adoption, preuve par l’absurde que l’instrument est inapproprié. De plus, la protection de l’enfant n’est pas optimale : le/la partenaire n’aurait aucune possibilité de le recueillir dans le cas où la mère décéderait lors de l’accouchement. Les autorités fédérales doivent reconsidérer la possibilité d’élargir le recours à la procédure de reconnaissance de l’enfant à naître dans les situations homoparentales.
Les futurs parents ayant actuellement recours à une mère porteuse et les femmes désireuses de porter un enfant pour autrui n’ont aujourd’hui aucun cadre légal dans lequel ils/elles peuvent inscrire leur démarche. L’absence de loi expose toutes les parties à des risques multiples et importants, notamment ceux liés à l’arbitraire de l’une d’entre elles, en méconnaissance totale des droits de l’enfant. Les autorités fédérales doivent encadrer légalement les recours à la gestation pour autrui afin de garantir et de protéger toutes les personnes impliquées, particulièrement les enfants issus de cette démarche.
Selon l’Institut Scientifique de Santé Publique, le nombre de séropositifs diagnostiqués annuellement en Belgique a connu une nette recrudescence depuis la fin des années 90 pour se stabiliser à un niveau élevé ces dernières années. Si la mortalité due au sida est à présent très basse, grâce aux multi thérapies, les traitements restent lourds et contraignants. Par ailleurs, la stigmatisation sociale reste très forte. Elle accroît l’isolement et la vulnérabilité des personnes infectées et empêche leur intégration.
Face à ce constat, la stratégie de lutte contre le sida et les Infections Sexuellement Transmissibles (IST) doit profondément évoluer si la Belgique veut atteindre l’objectif d’éradication du VIH dans les dix prochaines années, comme proposé par l’OMS. Il s’agit d’intégrer étroitement les dimensions de prévention, de dépistage et de traitement. La qualité de la prise en charge des personnes séropositives et la lutte contre leur stigmatisation sociale doivent également être améliorées.
Dans le cadre de la réforme de l’état, en particulier en matière de soins de santé et de prévention, cette intégration des différentes dimensions doit être garantie tant par l’identification de la lutte contre le VIH dans les grands défis en matière de santé sur lesquels le nouvel Institut du futur aura à organiser la concertation entre les entités, que dans l’accord de coopération qui organisera les coordinations suite aux transferts de compétence, notamment en matière de prévention.
La table ronde initiée en septembre 2009 par la Ministre de la santé a mis en évidence que l’exclusion permanente du don de sang sur base du critère « Si vous êtes un homme, avez-vous ou avez-vous eu des relations sexuelles avec un autre homme ? » a un caractère discriminatoire. Les travaux doivent être poursuivis sans délai en vue de supprimer ce critère et de limiter l’exclusion aux réels comportements à risque.
Le suivi épidémiologique de l’infection à VIH doit être nettement affiné en vue de mieux cerner les comportements à risque plutôt que des catégories de population inopérantes.
En Belgique, les personnes transgenres et intersexes, désignées comme transsexuelles dans le jargon psychiatrique et juridique, se voient refuser la possibilité d'adopter sans contrainte l'identité de genre qu'elles ont librement choisie.
Les personnes qui rencontrent des difficultés à vivre leur identité de genre et qui sollicitent un soutien psychologique en milieu psychiatrique se voient rapidement « prises en charge » et enrôlées dans des processus de normalisation visant à leur assigner un genre bien défini. Cette situation oblige certaines personnes à simuler le genre attendu.
C'est pourquoi, nous estimons qu'au terme de transsexuel, il soit préféré celui de transgenre ou de genre fluide.
Souvent sans le consentement éclairé de la personne transgenre ni des parents, le médecin prescrit un traitement anti-hormonal appelé aussi "hormonothérapie" afin de bloquer chez la personne transgenre la production d'hormones de l'autre genre que celui mentionné sur la carte d'identité. Ce traitement aux multiples effets secondaires (perte de libido, stérilisation, troubles de la mémoire...) a de lourdes conséquences sur la santé de la personne transgenre.C'est pourquoi, nous estimons que l'hormonothérapie prescrite sans le consentement éclairé de la personne transgenre s’assimile à une castration chimique et doit à ce titre être interdite.
La ré-assignation sexuelle des personnes intersexes (hermaphrodites), a fortiori lorsqu’elle passe par des interventions chirurgicales lourdes pratiquées dès le plus jeune âge, se traduit par une véritable mutilation des organes génitaux et entraîne, outre les dégâts esthétiques et les humiliations inhérentes aux traitements post-opératoires, la suppression de tout plaisir sexuel. La ré-assignation chirurgicale s’apparente en fait à l'excision. Une telle rigueur n’est nullement rendue nécessaire par les normes internationales.
La loi belge sur le changement d’état civil doit respecter le 18e Principe de Jogjakarta : Nul ne peut être forcé de subir une quelconque forme de traitement, de protocole ou de test médical ou psychologique, ou d’être enfermé dans un établissement médical, en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. A l’heure actuelle la loi belge impose pourtant la stérilisation comme préalable au changement d’état civil. Les critères médicaux repris dans la loi belge relative à la transsexualité comme condition pour l’enregistrement officiel du changement de sexes sont non seulement en contradiction avec les exigences des associations transgenres mais aussi en contradiction avec le point de vue adopté par le commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, comme formulé dans son Document thématique de juillet 2009.
Plus de 80 pays au monde criminalisent toujours les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Les identités de genre font aussi l’objet de la violence dans de nombreux Etats. Pénaliser l’homosexualité revient à encourager la discrimination et la haine. La déclaration sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre lue le 18 décembre 2008 à l’ONU au nom de 66 pays a rappelé le principe de non-discrimination en matière de droits de l’Homme, condamné les violations des droits de l’Homme fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et appelé à la dépénalisation universelle de l’homosexualité.
Les Principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, adoptés en mars 2007, constituent non seulement un code de conduite pour tout État en matière de droits des personnes LGBTI mais aussi un ensemble de repères pour notre pays, dans la conduite de ses politiques internationales et de coopération au développement.
Il est temps de passer de la parole aux actes et d’intégrer ces valeurs de respect, d’égalité, de diversité, de tolérance et de non-discrimination comme des exigences contraignantes des politiques internationales de notre pays.
Depuis 2007, le Parlement européen célèbre également la journée internationale contre l’homophobie. Tous les États membres de l’Union européenne se sont par ailleurs associés à la déclaration sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre lue le 18 décembre 2008 à l’ONU. Mais les discours haineux, les discriminations, les mauvais traitements vis-à-vis des personnes LGBTI persistent dans de nombreux pays européens. Leurs droits à la liberté d’expression et d’association ne sont pas respectés partout. Nous attendons de la Commission européenne qu’elle évalue la mise en œuvre de la directive anti-discrimination en matière d’emploi et de travail et sanctionne les États membres qui ne s’y conforment pas. Aussi, Le Conseil et le Parlement doivent adopter rapidement la proposition de directive du 2 juillet 2008 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle. D’autre part, nous attendons du gouvernement fédéral belge qu’il soutienne fermement ces revendications et qu’il veille à ce que les institutions européennes et les États membres reconnaissent l’égalité de traitement envers les personnes et les familles LGBTI. Enfin, Le gouvernement doit également s’engager pour obtenir que la législation des différents États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe reconnaisse les effets de notre droit de la famille en faveur des personnes LGBTI, sur base du principe de reconnaissance mutuelle et du principe de libre circulation des personnes, qui s’applique aux couples de même sexe et aux familles homoparentales.
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