Âgisme et communauté gay : Corentin et Jean

Parmi toutes les formes de discriminations que l’on peut retrouver dans notre société, mais aussi au sein même de nos communautés, l’âgisme peut faire énormément de dégâts. Portraits croisés entre Corentin et Jean. Deux générations. Deux vécus.

Parmi toutes les formes de discriminations que l’on peut retrouver dans notre société, mais aussi au sein même de nos communautés, l’âgisme peut faire énormément de dégâts.

Mais de quoi parlons-nous concrètement ?

Selon Estelle Huchet, chargée de campagne pour le réseau pour le réseau européen des personnes âgées (AEG Plateform europe), le terme âgisme recouvre à la fois les stéréotypes, les préjugés et les discriminations à l’égard des personnes âgées. Ce concept induit une ligne de démarcation très nette entre les personnes âgées et le reste de la population; comme si elles étaient un groupe complètement homogène différent des autres générations qui seraient, de facto, aussi dotées de caractéristiques propres. (1)

Cet âgisme est aussi fortement présent dans la communauté gay, plongeant de nombreuses personnes dans une grande solitude. Corentin et Jean ont accepté d'échanger sur le sujet sous la forme d'un portrait croisé entre deux générations que la société décide de séparer.

Où faites-vous vos rencontres, que ce soit pour faire des rencontres sexuelles, amicales ou amoureuses ? Sur les apps ? Dans la vraie vie ? Quels sont ces lieux ou quels étaient ces lieux de rencontres, car il est intéressant de voir aussi l’évolution dans ces pratiques ?

Corentin: Je fais la plupart de mes rencontres sur les apps, mais, parfois, je les fais aussi dans certains bars. Mais de manière générale, peu importe l’endroit où je décide de faire des rencontres, j’ai tendance à dire que je suis quelqu’un de très introverti qui préfère lire plutôt que parler à d’autres gens. Je suis souvent dans des bars pour lire et pour écrire, et si on m’aborde, je réponds volontiers; même si mon but n’est pas spécialement de faire des rencontres quand je suis dans cet état d’esprit. Les apps, quant à elles, je les utilise plus pour discuter car c’est beaucoup plus facile pour moi d’aborder les gens de cette façon.

Comment a évolué ta manière de faire des rencontres en cette période de COVID pour toi ?

Corentin : De manière générale, j’aborde moins les gens car je suis assez prudent. Et je ne pense pas que ce soit le meilleur moment pour faire des rencontres, pour être tout à fait honnête.

Et toi, Jean ?

Jean: Si je dois faire un retour en arrière, les rencontres se faisaient majoritairement dans les bars, dans les saunas ou dans la rue aussi parfois; car avant les réseaux sociaux, c’est comme ça que cela se passait. Une fois que les apps de rencontres sont apparues, je me suis évidemment créé des profils sur ces différentes plateformes. Cependant, mes principales rencontres se font en visu, en live.

Est-ce que tes amis proches ont aussi vécu cette évolution en termes de rencontres ? Avez-vous eu, et avez-vous, encore, parfois du mal à faire des rencontres car les méthodes changent sans cesse ?

Jean : Oui oui, bien sûr. Puis, il ne faut pas oublier qu’il y a cette question de l’âgisme qui est bien présente dans la communauté gay. Certes, ce phénomène est aussi bien présent chez les hétéros que chez nous, mais force est de constater que c’est un peu plus virulent chez nous.

Après de mon côté, j’essaye aussi de me mettre des limites. Quand j’aborde des gens, j’essaye de ne pas aborder des mecs trop jeunes. C’est clair que je suis de moins en moins dragué par des gens très jeunes. Plus tu vieillis, plus tu deviens transparent pour certains. Après, pour certains, et c’est mon cas, c’est parfois plus confortable d’être âgé car on te fout la paix; mais c’est clair que, d' un autre côté, tu peux te dire que tu es hors circuit et invisible. Je ne vais pas dire que c’est compliqué, je dirais plutôt que tu fais une certaine sélection.

Et donc, si quelqu’un qui a le même âge que Corentin t’aborde, auras-tu tendance à lui mettre un stop ou à continuer la conversation ?

Jean: Non non, j’engagerais une conversation. Je ne suis pas du genre à recaler les gens en étant très malpoli. Cependant, on remarquera assez vite que nous ne sommes pas au même endroit dans notre vie, sans aucun jugement de valeur évidemment.

Et toi, Corentin ? Si quelqu’un de beaucoup plus âgé vient t’aborder, comment te sens-tu ? Quelle sera ta réaction de manière générale, en imaginant que cette personne t’aborde de manière très posée, sans tomber dans des conversations où elle te montre directement une dickpic ou autre ?

Corentin : Si je reçois une dickpic dès les premiers messages, et ce peu importe l’âge, je bloque la personne.

En dehors de ça, je suis toujours ouvert à la conversation. Après, ça dépend de la personne. Il m’est déjà arrivé d’avoir des relations avec des personnes plus âgées. Je dirais même que, de manière générale, je suis plutôt attiré par les personnes plus âgées que moi; car j’ai tendance à apprécier la stabilité et la maturité que ce type de personne incarne. Bien que ce ne soit pas quelque chose que l’on retrouve forcément chez les mecs plus âgés.

Après, ça dépend vraiment de la personne. Je préfère quelqu’un d’intéressant, avec qui je peux discuter de tout et de rien.

Quand vous êtes sur ces lieux de rencontres, virtuels ou réels, qu’avez-vous comme types de recherches ?

Jean: ça dépend un peu des humeurs, je dois dire; si je suis en manque d’affection ou en manque de rapport sexuel. Je pense que ça dépend aussi de nos moments dans nos vies. A certains moments, on a plutôt envie d’amorcer une relation, et puis parfois, on a juste envie de s’envoyer en l’air. Tout évolue, c’est très changeant.


Corentin: mes recherches évoluent aussi, comme Jean. Pendant longtemps, je recherchais uniquement du sexe, puis ma vision des choses a changé et j’ai eu cette volonté de ne plus être sexualisé par les gens. De manière générale, je suis plutôt à la recherche de discussions intéressantes avec d’autres garçons. Alors, ça m’arrive d’avoir des relations plus éphémères; mais, ce sera avec des personnes avec qui je peux partager des moments avant. Je n’aime pas trop le côté “ salut, on baise et puis ciao”. J’ai besoin d’un minimum d’échange avec la personne. Concernant l’amour, je ne l’attends pas spécialement. Je me suis toujours dit que ça me tomberait dessus quand je m’y attendrais le moins.

Est-ce que vous mettez votre âge sur les applications de rencontres ?

Jean : Systématiquement, oui. Je n’ai pas envie de me prendre un râteau, même si j’en ai déjà pris; mais je préfère que tout soit clair dès le départ pour éviter tous malentendus.


Corentin: Pareil !

Une question pour Jean: concernant l’âgisme, est-ce que c’est quelque chose avec lequel tu as du mal ? Comment le vis-tu dans ta vie de tous les jours ?

Jean: Si tu fais la paix avec cette notion d’âgisme dans la vie de tous les jours, tu fais aussi la part des choses quand cet âgisme vient s'immiscer dans tes relations intimes. Le fait d’accepter ou non son âge est quelque chose qui se fait de manière globale. Puis, il y a certaines périodes de ta vie qui sont un peu plus dures à vivre aussi, où tu te dis “aaah, j’ai pris un coup de vieux” ou un truc dans cette veine-là.

Moi, je ne me sens pas vieux. Mais pour la société, je suis perçu comme un senior, alors que je ne me retrouve pas du tout dans la définition qu’on a de cette tranche d’âge.

Est-ce que parfois dans tes échanges sociaux sur les apps ou dans la vraie vie, tu te retrouves face à cet âgisme, avec des personnes qui te mettent un stop directement car tu es trop vieux selon eux ? Comment réagis-tu ?

Jean: on ne me l’a jamais dit frontalement, car je ne mens jamais sur mon âge. Il m’arrive même de faire des blagues à ce sujet en renforçant l’idée de vieillesse, et les mecs me répondent “mais non, ce n’est pas du tout vrai”. Du coup, oui, je ne souffre pas trop de ça, je dois dire.

Est-ce qu’il y a eu des moments dans ta vie où c’était un peu plus rude ?

Jean: Oui, évidemment, et ça se renforce je pense quand tu es un peu déprimé et que  tu n’as plus de boulot/pas de compagnon/plus trop de famille etc.

Je pense que c’est surtout ce qui est renvoyé par la société qui est dur. A partir d’un certain âge, on te met dans des cases dans lesquelles tu ne t’identifies pas forcément

Et selon vous, pourquoi pensez-vous que ce phénomène d’âgisme est très présent chez nous ?

Corentin: Je ne sais pas trop expliquer ce phénomène. Je pense que, de manière générale, dans la communauté gay, nous sommes très axés sur le physique; et je trouve ça dommage. Concernant la question de l’âge, je n’ai pas peur de vieillir et je ne vois pas ça comme un problème. Je vois ça comme un gain de maturité et d’expérience.

Dans la communauté hétéro, j’ai plutôt l’impression que cette question d’âgisme est très proéminente chez les femmes, et que ça les concerne plus. Il y a une différence dans le choix du vocabulaire. Un homme qui vieillit sera vu comme du bon vin, alors qu’une femme sera plus vite mise de côté.

Et du coup, dans la communauté gay, il y a un peu un phénomène similaire aux femmes* hétéros où l’homme qui vieillit n’est plus mis en valeur, et je trouve ça dommage et révoltant. Ça va tellement loin parfois. On m’a déjà dit qu’à 25 ans, je commençais à être dépassé, ce qui est assez étrange comme affirmation.

Du coup, Jean, comment tu expliques ce phénomène où on devient “vieux” aux yeux de quelqu’un finalement de plus en plus jeune ?

Jean: Je ne sais pas trop comment expliquer ça sans tomber dans le cliché. Il faut dire qu’il y a une fréquence de rencontres qui est plus élevée chez nous. Il y a une espèce de culture du “tableau de chasse” dans la communauté gay masculine. Du coup, on peut observer une course, une certaine compétitivité entre nous. Et ce phénomène en crée un autre: nous devons constamment être au top pour ne pas être écrasé par les autres; et si tu te laisses un peu aller, tu perds du terrain. Et ça rejoint l’âgisme dans la mesure où plus on vieillit, plus notre corps change. Et forcément, nous n’avons pas le même tonus à 20 ans ou à 70 ans. Et je trouve ça assez violent parfois.

Selon vous, quelles seraient des pistes de solutions pour combattre et annuler cet effet ?

Jean: Je pense que les “vieux” doivent se faire entendre. Il faut que les gens comme vous s’intéressent à ces tranches de population. C’est de là que ça vient. Il faut aller les uns vers les autres. Il faut que les vieux fassent confiance aux jeunes et vice-versa. Les jeunes doivent aussi se rendre compte que la situation a évolué grâce aux aînés. Nous vivons tous les mêmes réalités, peu importe notre âge. Alors certes, on traverse les époques mais on vit les mêmes choses.


Corentin: Je suis assez d’accord avec Jean. La communication et la compréhension sont essentielles


Jean: On a aussi cette tendance à tout compartimenter, et c’est ridicule. Plus on cloisonne, plus on oppose et on crée des conflits.

Le mot magique c’est le respect; c’est le mot-clé.


Corentin: Je pense qu’il y a aussi une notion de respect qui se perd, surtout depuis l’apparition des réseaux sociaux; où on se permet plus de choses que l’on ne ferait pas dans la vraie vie. Et ça dépasse l’âgisme. C’est pour tout.


  1. https://www.lalibre.be/debats/opinions/l-agisme-un-mot-jeune-pour-dire-le-mal-qu-on-fait-aux-vieux-5ccaf09e9978e25347cc7881

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