Le 11 octobre, nous célébrons fièrement la journée mondiale du coming-out! Moment important et presqu'inévitable pour nombreux·ses d'entre nous, il peut également être extrêmement compliqué voire impossible pour de nombreuses autres personnes LGBTQIA+.
Pensée particulière aujourd'hui pour toutes ces personnes qui ne peuvent (ou ne veulent) pas faire leur coming out pour diverses raisons. Nous pensons à vous, vous n'êtes pas seul-e-s!
Un jour, peut-être, la notion de coming-out sera obsolète et nous pourrons chacun-e être qui l'on est sans devoir le partager à la terre entière...
Nous avons eu le plaisir de discuter avec Alex, qui a accepté de répondre à nos questions.
À moi-même. Et cela a été une libération. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours ressenti de la curiosité, du désir, une attirance pour les garçons. Cependant, élevé avec l'idée que l'homosexualité est anormale et quelque chose de mal, je l'ai longtemps refoulée. Pendant une partie de mon adolescence, je me suis rassuré en me prétendant bisexuel, car cela semblait moins "grave", puisque les filles m'attiraient, ou du moins, je ne les repoussais pas. Même si j'avais déjà eu des expériences sommaires avec des garçons qui étaient de véritables coups de cœur, je n'avais jamais eu de petit copain, et je revenais toujours à cette idée que les filles m'intéressaient aussi. D'ailleurs, l'été de mes 16 ans, je suis sorti avec une fille lors d'un séjour à l'étranger. Ça a duré 15 jours, nous étions bien ensemble, et la relation était extrêmement positive. Cependant, un jour, alors que nous étions enlacés au bord de la piscine, couchés dans un transat en train de nous embrasser, deux garçons sont passés près de nous. Je m'en souviens très bien, le temps s'est comme arrêté. Ils étaient beaux, ils étaient séduisants. Je voulais être avec eux, comme je voulais qu'ils me désirent. Mettre des mots sur mes besoins, mes ressentis et mes émotions a été un électrochoc. Je devais arrêter de me voiler la face. Alors que tout se passait bien avec Amandine, ce n'était pas d'elle que je rêvais. Je voulais autre chose, je voulais être avec un garçon, tomber amoureux de lui et l'aimer.
Le soir-même, j'ai mis fin à ma relation avec ma copine. Et je suis rentré de vacances avec la ferme intention d'être peu à peu moi-même avec mon entourage et d'annoncer qui je suis : un garçon de 16 ans, gay.
Mon tout premier CO, je l'ai fait à une amie de longue date. Nous nous étions rencontrés lors d'une colonie de vacances, et elle habitait à Namur. Depuis, nous échangions régulièrement par courrier ou par téléphone. Dans nos lettres, nous parlions de notre quotidien, de nos doutes ou de nos envies, de nos proches, des derniers événements que nous avions chacun vécus. Lorsque je me suis senti suffisamment en confiance et que j'ai enfin eu le courage de lui en parler, je me souviens distinctement que ce n'était pas non plus anodin de me tourner vers elle. Dans ma tête, c'était très clair : si elle réagissait mal à mon CO, je prenais peu de risques puisqu'elle n'habitait pas dans la même ville que la mienne - je suis liégeois - et que nous n'évoluions donc pas dans les mêmes cercles ; elle ne pourrait donc pas en parler à d'autres. Si elle réagissait mal, soit je recevrais une lettre d'insultes, soit pas de lettre du tout, et je comprendrais. Mais une lettre en retour est arrivée un matin. Je me souviens encore du stress et de la tension au moment de l'ouvrir. Sans vraiment lire le contenu, en la parcourant en diagonale, je n'ai rien vu d'insultant. Sa lettre se terminait par un cœur. Je me suis détendu et ai repris ma lecture depuis le début.
C'était une véritable main tendue, pleine d'empathie et de reconnaissance. Elle avait compris à quel point cela avait été difficile pour moi de mettre ces mots sur papier et les accueillait avec écoute et bienveillance. Évidemment, cela n'a rien changé à notre relation, et son regard sur moi n'a pas évolué différemment suite à cette annonce. Elle était là. Elle était mon amie et le resterait. C'est ainsi que devraient se passer tous les CO, c'est comme ça que tout le monde devrait réagir. En tout cas, elle m'a rassuré et réconforté. Je ne sais pas si elle se doute à quel point elle m'a sauvé et surtout à quel point elle a eu un impact sur ma vie. Une autre réaction aurait pu avoir tellement d'autres conséquences. J'ai finalement été suffisamment en confiance pour me confier à d'autres personnes, plus proches géographiquement et de plus en plus intimes également.
Ce sont les réactions négatives ou décevantes qui marquent davantage, du moins dans mon cas. Je ne me souviens pas tellement des réactions positives. Cela peut paraître ingrat, car heureusement, il y en a eu beaucoup, mais on ne retient pas toujours les réactions positives précisément parce qu'elles sont positives, qu'elles coulent de source, et que la vie continue encore plus heureuse et légère. Que ce soit durant ma scolarité, dans mes loisirs ou au travail, chaque réaction a eu son importance et a défini les relations que nous avons eues par la suite, ainsi que la manière dont je me suis senti serein. Car ce n'est pas une conversation anodine, c'est un sujet sur lequel les gens s'autorisent à avoir un avis, émettent un jugement, et peuvent modifier leur comportement à notre égard. Et nous allons avoir des CO toute notre vie, tous les jours, de manière directe et parfois moins. Alors, quand il n'y a pas de réaction, que c'est simplement une partie de notre personnalité qui ne modifie en rien la perception que les gens ont de nous, on ne se pose pas de questions, on en profite, et tout va bien.
Si je devais mettre en avant l'un de mes CO, ce serait celui que j'ai eu avec mes grands-parents maternels. J'ai profité d'un séjour à la mer durant lequel je me suis retrouvé seul avec eux. Je n'avais dit à personne de ma famille que je comptais me lancer (personne pour m'en dissuader, et au moins, si je n'y parvenais pas, il n'y aurait eu que ma frustration). Cela faisait 3 ans que j'étais avec mon compagnon, et tout le reste de ma famille le connaissait déjà. Mais mes grands-parents représentaient tellement à mes yeux que je ne voulais pas risquer que leur regard change. N'ayons pas peur des mots, j'avais peur de les décevoir, et c'est quelque chose que je n'aurais pas supporté. Tous les deux avaient passé les 80 ans. J'avais déjà entendu des réflexions pas très agréables de leur part, lors de repas ou en commentant des actualités à la radio ou à la télévision. Cela m'avait souvent refroidi. Mais là, après trois ans en couple avec Nico, en pleins préparatifs de notre mariage, je ne pouvais plus concevoir de les tenir à l'écart d'un des événements les plus marquants de ma vie. Alors, je me suis lancé à la fin d'un repas. Mon grand-père n'a d'abord pas réagi, tandis que ma grand-mère a commencé à sangloter. J'ai pris peur, persuadé d'avoir fait une erreur quelque part et que la situation allait m'échapper. Puis, les questions plus concrètes sont venues petit à petit. Des questions sur moi, mon ressenti, mon vécu, sur Nico, notre rencontre, nos projets. Le fait de savoir qu'on les avait "épargnés et ménagés" depuis tout ce temps les a profondément marqués, tout comme le fait que toute la famille était au courant. On les avait tenus à l'écart. Cela a été une surprise et un petit bouleversement, car nous formons une famille assez soudée à la base. Mon grand-père a dit : "J'aurais préféré que ce soit avec une fille, mais si tu es heureux ainsi..." et puis est retourné à la cuisine, tandis que ma grand-mère est allée dans sa chambre. Je les ai laissés un peu respirer puis je suis retourné les voir chacun séparément. Ma grand-mère était assise sur le bord du lit. Elle m'a regardé et a dit : "Tu nous en as annoncé une bonne, toi !" mais son ton n'était déjà même plus un reproche, tout juste un constat. Je me suis assis à côté d'elle, et on s'est serrés très fort. Puis elle m'a demandé si j'avais une photo de Nico, que je me suis empressé d'aller chercher. "Il est plutôt beau garçon, il faut le reconnaître", et on a continué à discuter. "Quand on le voit, on comprend mieux, on se fait moins d'idées". Elle voulait savoir comment se passait un mariage homo, si on allait à l'église, ou encore si on envisageait d'avoir des enfants. Quand je suis retourné voir mon grand-père, j'étais déjà un peu plus rassuré. La conversation avec ma grand-mère m'encourageait à verbaliser les choses. "Papy, est-ce que tu m'aimes toujours ? Es-tu fâché ?" Ma question l'a surpris, et j'ai tout de suite compris que ça ne lui était même pas venu à l'esprit. "Non, je ne m'y attendais pas, mais je vois que tu es heureux. Tu restes mon petit-fils". Ragaillardi, j'avais toujours la photo en main, alors je lui ai montré en lui racontant la moitié du parcours de Nico.
Avec du recul, je me rends compte que les échanges que j'ai eus avec eux durant tout le reste de la journée servaient à se rassurer et à confirmer que j'étais toujours le même, que les attentes qu'ils projetaient sur moi ne changeaient pas. Il y avait juste une nouvelle donnée : ce serait avec un garçon que je ferais ma vie. Et ce garçon, le soir-même, ils m'ont demandé à pouvoir le rencontrer, ce que nous avons fait 15 jours plus tard. Je peux dire sans sourciller que ça a été l'un des moments les plus merveilleux que j'ai pu vivre.
En fait, dans cette peur constante de décevoir les gens ou d'être blessé par leurs réactions, que j'ai ressentie une grande partie de ma vie, j'ai souvent fait le choix de m'éloigner de personnes, même très importantes ou très proches à mes yeux, afin de ne pas risquer d'être blessé ou rejeté. Alors même qu'il n'y avait peut-être aucun risque de rejet ou de paroles malheureuses... C'est ainsi, c'était plus facile de prendre de la distance que de me confronter vraiment à eux. Mais cela explique pourquoi j'ai souvent changé de cercles d'amis et perdu de vue des gens au fur et à mesure que je grandissais ou faisais de nouvelles rencontres, etc.
On évite les coups comme on peut... Et à l'adolescence, des blagues nulles et des insultes liées à l'homosexualité, tu en entends des tonnes, plusieurs fois par jour, tous les jours. Quand tu ne rentres pas dans les cases établies, il y a des moqueries, des dénigrements... Tu te prends facilement des coups dans la gueule, même en restant dans ton coin. Et si je pouvais les éviter, franchement, je faisais tout pour.
Avec l'arrivée des réseaux sociaux, des années plus tard, j'en ai retrouvé plusieurs. C'était bizarre de reprendre contact en étant le "nouveau moi", assumé et mieux dans sa peau. Cela m'a plusieurs fois laissé une sensation désagréable, comme un goût d'échec et d'être passé à côté d'événements et de personnes qui avaient pourtant compté pour moi.
Ce qui a le plus changé, c'est l'estime que j'ai pour moi-même. J'ai le droit de vivre, je n'ai pas choisi d'être qui je suis. Je n'ai plus à m'excuser d'être qui je suis. Et l'avis des autres par rapport à mon orientation sexuelle ou à mon expression de genre ne devrait pas peser dans la balance.
Au final, je retiens surtout que faire son coming out offre un sentiment de liberté. Je me sens bien plus apaisé maintenant que je ne me mets plus cette pression sociale.
Cela dépendra toujours du contexte et des personnes que j'ai en face de moi. Mais j'en fais maintenant un non-événement, c'est un fait parmi tant d'autres et cela ne résume en rien ma personnalité ou mon identité. Je n'attends aucune validation et je ne laisse pas la possibilité d'émettre un jugement. Je dois reconnaître aussi que la société a changé, du moins de mon point de vue et dans mon quotidien. C'est une information qui a moins d'importance que ce qu'elle pouvait avoir à l'adolescence. Cependant, je suis quand même amené à l'exprimer au moins une fois par semaine, que ce soit lorsque je remplis des papiers à l'administration, lorsque j'ai inscrit mon fils à l'école ou au sport, ou lorsque je corrige une personne qui me demande si mon épouse sera présente à tel événement. La société part du principe que tout le monde est hétéro, donc régulièrement, malgré moi, je dois expliquer que ce n'est pas avec une femme que je fais ma vie.
Par contre, avec l'âge, j'ai suffisamment d'expérience pour être conscient que cette annonce peut entraîner un changement de comportement, d'attitude, ou des réactions négatives. Mais cela leur appartient, cela ne m'empêchera pas de vivre.
Tu es fort, plus que tu ne le penses. Respecte-toi et n'attends pas que les autres t'autorisent à aimer quelqu'un. Prends le temps de le faire au moment où tu te sens le plus aligné pour le faire. Il n'y a pas de date de péremption, et ça ne doit pas être un élément de pression. Ce moment t'appartient. Par contre, sache qu'une fois qu'il est fait, ce sentiment de légèreté ne te quitte plus. Tu peux respirer. Tu n'es pas seul. Tu peux simplement être toi, entouré de personnes qui te soutiennent, t'écoutent, t'accompagnent et te comprennent. Et c'est génial. C'est peut-être ça, la vie.
