Conférence ILGA 2015 : compte rendu

Comme chaque année, un représentant d'Arc-en-ciel Wallonie s'est rendu à la conférence organisée par ILGA Europe. En 2015, c'était Athènes qu'avait lieu cette conférence.

Globalement, il en ressort deux éléments. Le premier est de constater que le projet européen avec ses valeurs et ses droits est à l’arrêt ; quand cela arrive, les LGBTI sont parmi les premiers à subir cette paralysie. Le second, plus positif, est un message encourageant les associations à reconnaitre la diversité au sein même du mouvement LGBTI.

Dès la première conférence, le ton est donné :

"Aucun leader politique ne sera présent cette année. Ils ont été invités, mais n'ont pas jugé nécessaire de se déplacer."

Le monde traverse actuellement différentes crises. Les questions LGBTI pourraient-elles être relayées au second plan ? Çà et là, les avancées sociales et les droits sont davantage garantis. Pour quelles causes devons-nous encore nous mobiliser ? Et si les politiques pensaient avoir fait le tour de la question ?

Une question de vocabulaire, mon cher !

Il est faux de penser que tout va bien en Europe. Les réactions violentes en France lors des débats sur le mariage pour tous, par exemple, nous prouvent le contraire. Il est intéressant de constater que le discours des opposants aux droits LGBTI évolue. Ils font de plus en plus référence aux droits humains, par exemple en mettant en avant leur devoir de "protéger les enfants", et ce, peu importe le sujet du débat. Que l'on parle de mariage ou de GPA, le sujet importe peu au final, tout comme ce que l'on intègre à la notion de droit humain qui, à force d'être scandée à tout-va, en perd toute signification et se confond dans une mélasse indigeste de protestations. Les opposants aux droits LGBTI usent et abusent aussi du terme "genre". Un mot qui peut englober autant d'idées et de concepts qui se contredisent. À titre d'exemple, en Slovaquie, une campagne d'affichage "Stop Gender" a récemment vu le jour. Il pourrait s'agir d'une blague tant la démarche paraitra ridicule aux yeux d'un public averti, mais je suis au regret de vous annoncer que c'est la triste réalité, et que la confusion peut s'avérer être une véritable arme de désinformation massive.

Comment maintenir l'intérêt des politiciens ?

Il ne faut jamais cesser d'éduquer nos représentants. Il faut constamment leur rappeler le vocabulaire adéquat, quels termes citer et faire en sorte qu'ils nomment ces problématiques afin qu'elles existent. Il faut leur faire reconnaitre les besoins des LGBTI parce que, entre certaines grandes victoires et les horreurs que représentent des événements très médiatisés, gravitent autant de causes qui méritent encore leur intérêt.

Les commissions qui travaillent sur ces sujets font, sans doute, du bon travail. Ce n'est cependant pas suffisant. Elles n'agissent pas sur le gouvernement et n'ont donc que très peu d'impact sur le peuple.

Faisons un détour par l'Irlande qui a récemment contribué à refaçonner l'image d'une campagne en adaptant son mode de communication. L'exemple qui suit démontre que lorsque le mouvement vient du peuple et que l'on réalise que l'ouverture d'esprit et la tolérance ne peuvent prendre leur source dans un discours agressif, les résultats sont impressionnants.

Grainne Healey, co-directrice de "Yes Equality", une campagne créée par trois organisations luttant en faveur des droits LGBTI en Irlande, est venue nous présenter les outils et réflexions de travail d'une équipe de plus de trente personnes réunies à Dublin en vue du référendum sur le mariage homosexuel de mai 2015. En effet, le 22 mai dernier, l'Irlande fut le premier pays au monde à soumettre cette question à un vote populaire. Gagner un référendum n'est pas une tâche aisée et il est donc important de souligner que 61% de la population s'est déplacée pour voter et que 62% d'entre eux ont voté en faveur du mariage homosexuel. Comment en sont-ils parvenus à un tel résultat ?

Une campagne positive mettant en avant les valeurs qui définissent le peuple irlandais (l'amour, l'égalité, la justice, la générosité) a été organisée via différents canaux. Des supports graphiques et littéraires ont été distribués dans tout le pays par des bénévoles répartis dans des groupes de soutien locaux. Un bus a voyagé parmi 80 villes en diffusant ce message fort et inclusif. Des personnalités se sont publiquement prononcées en faveur du "oui". Les différents partis politiques du pays ont eu aussi rejoint le mouvement. Parmi les éléments majeurs qui ont fait de cette campagne un succès, nous en soulignerons deux :

- Par le biais d'une campagne d'affichage intitulée "I'm voting yes, ask me why", ils ont insisté sur l'ouverture des opinions et des initiatives personnelles. Chacun avec son parcours ou ses motivations avait la possibilité de témoigner et de faire évoluer les mentalités.

- Ils ont noué des liens avec des alliés parfois inattendus, dont un grand nombre de partis politiques, des associations hors secteur LGBTI qui partagent cependant les mêmes valeurs (elles sont nombreuses !).

Ils ont aussi réussi à mobiliser la jeunesse qui, souvent assez ouverte sur ces questions, se mobilise néanmoins généralement peu aux urnes.

La vente des produits de merchandising aux couleurs de la compagne ainsi que des appels au financement participatif, qui ont récolté plus de 160 000 dollars, ont permis de concrétiser toutes ces démarches.

Que l'on désire se marier ou pas, le mariage est la porte ouverte à l'égalité des droits. Grainne Healey conclu en ajoutant que cette campagne a pris place à un moment opportun, que la réponse massive et généreuse des Irlandais est un signal fort qui doit résonner à l'international, et faire mûrir l'espoir dans d'autres pays à la traîne, là où il est nécessaire.

Tout au long des conférences, un message récurrent circule. Les mécanismes de haine et d'exclusion sont les mêmes, et ce, pour toutes les minorités discriminées. Cela peut sembler évident, mais c'est un constat important qui peut bel et bien faire la différence dans la lutte contre la hiérarchisation des minorités.

L'importance de trouver des alliés, de construire des ponts entre les associations aux objectifs proches s'impose comme une réelle source d'opportunité.  En Inde, des associations féministes travaillent avec la police afin d'empêcher que les maris infidèles, qui ont des rapports épisodiques avec d'autres hommes, ne soient arrêtés. En Turquie, la demande de reconnaissance des crimes de haine au gouvernement a été menée en partenariat avec des associations féministes et des mouvements écologistes. En Inde encore, les problèmes de viols et de lynchages des jeunes filles sont aussi portés par des mouvements de jeunesse LGBTI ; à l'image du film "Pride", basé sur une histoire vraie qui raconte l’inattendue collaboration entre un mouvement LGBTI anglais et un syndicat de mineurs dans les années 1980.

Pour conclure ce compte rendu, j'ai eu l'occasion de rencontrer Penelope Cappa, une bénévole de l'association Color Youth. Arc-en-ciel Wallonie tenait à donner la parole à une association qui ne prenait pas part aux conférences d'Ilga Europe, mais qui avait tout autant de choses à dire sur le travail de terrain en Grèce. Lors d'une brève mais très intéressante rencontre, Penelope m'a présenté l'association en question.

Color Youth est une organisation créée par et pour les jeunes LGBTI. Elle a d'abord existé en tant que groupe de jeunes depuis 2011 et a obtenu un statut juridique en 2012. Nous avons actuellement plus de 100 membres inscrits, organisés en trois groupes de travail, à savoir le groupe de défense, le groupe  de construction de la communauté et les services de soutien. Jusqu'à présent, nous avons effectué une variété d'activités dans les trois domaines, notamment :

- Le projet (toujours en cours) "Dites-nous", à travers lequel les incidents de violence fondés sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre sont systématiquement signalés et un soutien (psychologique, médical et/ou moral) est fourni aux victimes,

- "Votez pour vos droits", un projet lancé avant les élections européennes de 2014, afin de sensibiliser les électeurs et les futurs députés sur les questions LGBTI, qui comprenait une campagne en ligne et une discussion ouverte avec les représentants des partis politiques,

- Des manifestations et actions de rue. Des discussions structurées et d'autres activités éducatives, des ateliers sur les questions LGBTI ainsi que des groupes de soutien, animés par des professionnels de la santé mentale.

Depuis 2012, nous organisons également des réunions ouvertes hebdomadaires, généralement avec un taux de participation de 40-50 personnes.

En termes de législation, la Grèce a un long chemin à parcourir pour atteindre l'égalité pour les LGBTI. Ni le mariage ni le partenariat civil n'a été légiféré pour les couples de même sexe. Pour les personnes trans, changer leurs documents d'identité prend du temps et nécessite d'être stérilisées.

Cela dit, être LGBTI en Grèce, ce n'est pas trop mal, en particulier pour les jeunes générations. Les gens ont tendance à être progressivement plus ouverts d'esprit. Dans les grandes villes, comme Athènes et Salonique, il est plus facile de sociabiliser. Il y a des organisations vers lesquelles se tourner et généralement, la société a tendance à être plus tolérante. Dans les petites villes, les choses peuvent être plus difficiles. La visibilité des personnes LGBTI y est un réel problème.

Color Youth a été créé pendant la crise et beaucoup de jeunes LGBTI dépendent financièrement de leurs parents. Une réalité qui complique l'accès à des services de soutien abordables et fiables - ce qui est l'une des raisons pour lesquelles notre plus grand projet se concentre exactement sur le développement de ces services.

Il convient également de noter que la crise en Grèce est non seulement financière, mais aussi politique. Les partis d'extrême droite ont pris du galon. La communauté LGBTI est une cible pour les membres de la Golden Dawn (le troisième plus grand parti pour le moment).

En outre, comme les conservateurs se replient sur eux-mêmes et que la communauté LGBTI gagne progressivement en visibilité, nous devons faire face au fait d'être considérés comme des "pécheurs"  ou des "destructeurs de valeurs traditionnelles".  Dans un pays comme la Grèce, où il n'y a pas de séparation de l'Église et de l'État, cela entraine une certaine stigmatisation sociale. Une partie considérable de la gauche voit toujours les questions LGBTI comme des problématiques secondaires par rapport aux questions financières ou à la crise des réfugiés, mais nous arrivons à trouver un terrain d'entente !

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