On en sait un peu plus sur l'état des connaissances et des comportements vis-à-vis du VIH et du sida en Belgique avec un des volets de la grande enquête de santé réalisée par l'Institut Scientifique de Santé Publique. L'occasion de rappeler la nécessité absolue de mettre en œuvre le plan national VIH 2014-2019.
La presse a récemment rendu compte des résultats publiés par le SPF Santé publique sur le volet consacré aux connaissances et aux comportements face au VIH et au sida de la grande enquête de santé réalisée par l'Institut Scientifique de Santé Publique. Un peu sottement, comme le pointe par exemple un article du Vif, il n'a été retenu qu'une image grossière : les wallons connaissent mieux le VIH que les flamands.
Il n'y a pourtant vraiment pas de quoi se réjouir. Ce que l'on peut en réellement en retirer, c'est que le plan national VIH 2014-2019 est une vraie nécessité, soulignée par l'ISP, n'en déplaise à la Ministre de la Santé Maggie De Block.
Une lecture moins superficielle et sensationnaliste de ce rapport s'imposait. En voici les principaux enseignements.
L'enquête de santé 2013 révèle qu'une part de plus en plus importante de la population (de plus de 15 ans) ne considère plus le sida comme une maladie grave. Si en 2004, 82,8% de la population estimaient que le sida était une maladie grave, ils ne sont plus que 77,9% en 2013. De plus, des jugements erronés sur la capacité des traitements à guérir le sida ou sur l'existence d'un vaccin efficace sont faits par 40% de la population. Au total, l'Institut Scientifique de Santé Publique (ISP), le département d'étude de notre ministère de la Santé, considère que seulement 48% de la population perçoit correctement la gravité et le caractère incurable du vih et du sida.
Le fait que le sida soit davantage considéré comme une maladie chronique aujourd'hui, et donc plus banale, se vérifie donc. Et c'est inquiétant car cette banalisation ne favorise ni les réflexes de prévention individuels, ni le besoin de politiques publiques de prévention. D'autant plus qu'elle se fonde sur une perception erronée largement répandue des possibilités de guérison.
Mais la (relativement) mauvaise connaissance du VIH et du sida ne s'arrête pas là. Il est tout de même interpellant de constater, après plus de 30 ans d'épidémie, qu'une part importante de la population continue à croire à des modes de transmission fantasques, tout comme elle imagine se préserver par des comportements pas du tout appropriés. Voyons ça en détail.
Un grand nombre de belges ont toujours des idées fausses concernant les modes de transmission du VIH. L'enquête a vérifié leur connaissance sur quatre circonstances par lesquelles le virus ne peut pas se transmettre : embrasser sur la bouche, piqûre de moustique, boire dans le verre de quelqu'un et donner son sang. Seuls 37% des belges savent qu'aucun de ces comportements ne peut transmettre le VIH.
Hé oui, tout le monde ne sait pas encore que le VIH ne se transmet pas en s'embrassant par exemple. 29% de la population a toujours cette crainte, ce qui n'est pas fait pour améliorer leurs rapports avec les personnes séropositives. Ce sont surtout les personnes âgées qui sont les plus mal informées. Mais on remarque aussi que les jeunes de 15 à 24 ans sont moins bien informés que les personnes d'âge moyen.
C'est aussi le niveau d'éducation qui joue, ce qui recoupe au moins en partie la répartition par âge. Les détenteurs d'un diplôme du primaire sont 52% à se tromper sur au moins une des quatre situations. Ils sont encore 44% parmi les diplômés du secondaire inférieur, 31% des diplômés du secondaire supérieur et 19% des diplômés de l'enseignement supérieur.
L'ISP en conclut que de nombreux efforts sont encore à fournir pour améliorer les connaissances de la population sur le VIH et le sida, notamment parce que le manque d'information à ce sujet nourrit les préjugés négatifs et les comportements discriminatoires vis-à-vis des personnes infectées.
Vous êtes 87,8% à savoir que le préservatif protège contre la transmission du VIH. Bravo ! Mais 52,3% de la population pensent que choisir un partenaire qui paraît en bonne santé suffit à se protéger, et 40% croient qu'il suffit de se retirer avant l'éjaculation. C'est faux, bien évidemment. En Wallonie, la population semble un peu mieux informée en moyenne, avec respectivement des réponses erronées de 31,9% et 34,3% à ces deux questions.
Autres information intéressante, seuls 45% de la population savent qu'éviter la pénétration est un moyen efficace contre le VIH. Par contre 86% savent que le fait d'avoir un partenaire unique, fidèle et non porteur du VIH est aussi une méthode efficace.
L'ISP constate qu'en ce qui concerne les moyens de protection, les résultats sont ambivalents. Si les moyens efficaces sont assez bien connus, une proportion élevée de personnes se trompe sur les méthodes qui s'avèrent en fait inefficaces. Et de recommander un effort soutenu de sensibilisation, en particulier auprès des jeunes et des personnes ayant un faible niveau d'instruction.
L'enquête met aussi en évidence que seulement 5,6% de la population de plus de 15 ans se sont faits dépister pour le VIH au moins une fois dans les 12 derniers mois. Un peu plus les femmes (6,0%) que les hommes (5,1%) - probablement parce que les femmes sont quasi systématiquement dépistées lors des grossesses. Plus en Wallonie (6,9%) qu'en Flandre (4,0%), tandis qu'à Bruxelles ce taux grimpe à 12,9%. Le dépistage est globalement plus fréquent en zones urbaines, probablement parce que l'anonymat et l'accès aux structures de dépistage y sont plus faciles. Mais peut-être faut-il aussi y voir l'effet des campagnes de prévention ou des recommandations des médecins. En dix ans, le nombre de dépistages dans les 12 derniers mois a cru de 48% en Wallonie (de 4,8% en 2004 à 6,9% en 2013), tandis qu'il a stagné en Flandre (De 3,8% à 4,0%) et s'accroissait de 11% à Bruxelles (de 11,6% à 12,9%). Mais nous sommes encore loin du compte quant à un taux de dépistage optimal, lorsqu'on sait que 9% de la population a une sexualité à risque, et même 11% parmi la population masculine (nous reviendrons sur cet autre aspect de l'enquête de santé dans un prochain article).
Autre information troublante, parmi les personnes qui se sont fait dépister dans les 12 derniers mois, 13,5% n'ont pas pris connaissance du résultat ! En fait, si on retire ceux-ci, seuls 4,8% de la population sont réellement informés de leur statut sérologique récent. Autant dire qu'il y a encore du travail ! Mais aussi que les tests rapides ont de ce point de vue un avantage indéniable.
On signalera enfin que l'ISP, dans ses conclusions, souligne l'importance du travail de prévention, en particulier auprès des jeunes. Ceci fait partie des priorités inscrites dans le plan national VIH 2014-2019, qui inclut la mise en œuvre de campagnes, outils et politiques de sensibilisation spécifiques pour les jeunes en collaborant entre autres avec le réseau scolaire, les structures prenant en charge des jeunes et les associations de jeunesse. On ne peut être plus clair.
* L'enquête de santé est un travail considérable, mené tous les 4 ou 5 ans, sur base d'un échantillon de 10.000 personnes en Belgique. La dernière est datée de 2013, année durant laquelle l'enquête a eu lieu. L'analyse des résultats, à présent complète, à toutefois pris plus d'un an.
Thierry Delaval