Le Conseil de l'Europe s'apprête à durcir l'exclusion du don de sang par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sur la base d'un rapport qui cache mal de nombreuses contradictions.
Le Conseil de l'Europe paraît souvent à la pointe en matière de lutte contre les discriminations basées notamment sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Les mesures qu'il recommande à ses États membres en attestent. Tout comme la récente déclaration de son Secrétaire général à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie.
Mais il semble bien que dans le dédale bureaucratique de cette grosse machine à recommandations, la main gauche ignore ce que fait la main droite. Dans un de ses départements, un groupe de travail planche depuis deux ans sur la question de l'interdiction faite aux gays de donner leur sang.
Il s'agissait au départ de voir s'il était possible de différencier les comportements à risque et d'adapter en conséquence le guide de bonne pratique transfusionnelle qui est la bible de tous les organismes chargés de la collecte du sang, comme la Croix Rouge.
En Belgique, où l'exclusion permanente est la règle, la Ministre de la Santé Laurette Onkelinx avait reconnu en juin 2010 le caractère discriminatoire du questionnaire que doivent remplir les donneurs de sang car selon elle il ne vise pas spécifiquement les comportements à risque (lire notre article du 1er juin 2010). Mais son cabinet préfère attendre les conclusions du Conseil de l'Europe avant d'aller plus loin.
En quatre réunions, le groupe de travail, dans laquelle la Belgique était représentée par le Dr Ludo Muylle du SPF Santé publique, emballait vite fait un rapport à l'attention du Comité européen sur la transfusion sanguine. Sur cette base, une recommandation aux États membres du Conseil de l'Europe est en cours de préparation et sera soumise à l'adoption du Comité des Ministres de Conseil de l'Europe (1).
La première partie de ce rapport dresse un état de la situation de l'épidémie de VIH dans 28 pays européens. La situation est très différente d'un pays à l'autre. Le niveau connu de nouvelles infections à VIH varie fortement entre moins de 2 et plus de 20 pour 100.000 habitants par an. La part des nouveaux cas d'infection attribuée aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) représente entre 25 et 67% selon les pays. La conclusion est que la population HSH est la plus affectée par l'épidémie et que la situation va en s'aggravant. Mais après deux ans de travaux, le groupe d'experts constate, un peu benoîtement, que les raisons de l'accroissement observé, notamment depuis les années 90, ne sont pas totalement comprises. On imagine bien quelques pistes, par exemple le fait que le dépistage soit plus fréquent parmi les gays, mais faute de références scientifiques les experts préfèrent ne pas retenir ces analyses. D'ailleurs, les experts optent radicalement pour l'approche des groupes à risque plutôt que des comportements à risque.
Le rapport note brièvement que la méthode d'exclusion actuelle n'est pas entièrement fiable. Entre 5 et 15% des HSH donneraient leur sang malgré l'interdiction. Par ailleurs, évaluant les pays où l'exclusion des HSH est temporaire ou non spécifique, comme l'Espagne ou l'Italie, on constate qu'il n'est pas possible de faire un lien avec l'évolution du nombre de donneurs positifs à VIH. Au contraire, le rapport note que l'expérience italienne montre donc que les "comportements à risque" ne se limitent pas à des "catégories" ou orientations sexuelles spécifiques. Bref, concluent encore les experts, aucune des politiques d'ajournement actuelle ne se distingue comme nettement supérieure aux autres. Mais ils éprouvent des scrupules à formuler de telles conclusions et ajoutent dans la foulée que d'autres études seraient nécessaires (2) et réaffirment de manière paradoxale que les HSH s'exposent par leur comportement à des risques qui les placent au sommet d'une "échelle imaginaire" du risque.
Cette remarque sur l'échelle imaginaire des risques a toute son importance. En effet, dans la directive européenne, une distinction est faite entre critères d'exclusion permanente et critères d'exclusion temporaire. Les "comportements sexuels exposant au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang" figurent dans les deux listes. C'est sur cette base que le Royaume-Uni, la Hongrie, l'Espagne et l'Italie mènent des politiques différentes de l'exclusion à vie. Les experts voient la nécessité de distinguer les "risques élevés", entraînant l'exclusion à vie, et "les risques", ouvrant la voie à des exclusions temporaires. Ils appellent l'Union européenne à clarifier la directive, ce qui rendraient illégales les politiques d'exclusion temporaire dans les pays qui la pratiquent et fermerait définitivement la porte à une évolution de la Belgique en ce sens.
Selon nos informations, la résolution que s'apprête à adopter le Comité des Ministres suit en tous points les recommandations des experts, et durcira donc clairement la politique d'exclusion des gays.
Effet paradoxal que de revoir les règles communes à la baisse sur base du constat que la situation est globalement invérifiable à l'échelle du continent européen. Et parfaitement contradictoire avec la recommandation de 2010 citée en début d'article qui invite les États membres à prendre toutes les mesures appropriées, notamment dans le domaine de la santé, à vaincre la discrimination et l’exclusion sociale fondées sur l’orientation sexuelle oul’identité de genre. C'est parfaitement grotesque !
Arc-en-Ciel Wallonie interrogera la Ministre de la Santé et le Ministre des Affaires étrangères sur l'attitude qu'adoptera la Belgique lors de la discussion de ce texte en Comité des Ministres.
(1) En fait, tous les États membres du Conseil de l'Europe ne sont pas concernés. Il s'agit principalement des pays membres de l'Union européenne et de quelques autres comme la Turquie, l'Islande, la Norvège et les pays des Balkans. L'Union européenne est particulièrement concernée car les recommandations visent la directive 2004/33/CE concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins, dont l'annexe 3 fixe les critères d'exclusion permanente ou temporaire. L'analyse détaillée n'a d'ailleurs porté que sur 10 pays, dont 8 de l'Union européenne. Malgré sa participation au groupe de travail, la Belgique n'a pas fourni d'informations détaillées relatives à sa population de donneurs.
(2) Fait assez troublant, on dirait que le groupe de travail s'est empressé de conclure son rapport avant que le Royaume-Uni ne change spectaculairement sa politique d'exclusion des HSH en septembre 2011. Depuis cette date, l'exclusion à vie à été réduite à une exclusion de 12 mois. La nouvelle réglementation anglaise s'appuie pourtant sur des études très fouillées, dont certaines sont disponibles en ligne (ici et ici), auxquelles les experts n'ont prêté aucune attention. Si cette évolution au Royaume-Uni n'est pas de nature à nous satisfaire entièrement, il faut aussi remarquer qu'Outre Manche, seuls les rapports anaux et oraux sont considérés par l'interdiction. Concernant les rapports oraux, les experts estiment qu'ils sont probablement sans risque mais jugent que des études, qui seront sans doute rapidement menées, manquent encore. Au Conseil de l'Europe comme en Belgique, on continue à viser indistinctement et sans les définir tous les rapports sexuels entre hommes.