À l’occasion de la Journée internationale de la visibilité trans, ce dossier de recommandations politiques entend contribuer à l’élaboration de politiques publiques plus justes et égalitaires pour les personnes trans. Face à la montée des discours conservateurs et réactionnaires qui visent à invisibiliser, délégitimer ou restreindre l’accès aux droits fondamentaux des personnes trans, ce document propose une réponse rigoureuse et argumentée. Il déconstruit point par point les rhétoriques diffusées par la droite et l’extrême droite, en démontrant comment ces discours ne reposent sur aucune réalité factuelle, mais participent activement à la construction de paniques morales dangereuses. En croisant données, analyses et témoignages, ce dossier rappelle une évidence trop souvent oubliée : les droits des personnes trans ne sont pas un débat, mais une nécessité démocratique.
Afin de faciliter la lecture du présent document, nous vous proposons quelques définitions de termes techniques :
Les identités transgenres, longtemps reléguées dans l’ombre, sont devenues un sujet central des débats sociaux et politiques. L’Histoire en atteste, la transidentité n’est pas un phénomène nouveau, mais elle connaît une visibilité accrue ces dernières années, et la lumière est particulièrement mise sur la jeunesse trans, en Belgique comme ailleurs. Cette évolution, portée par l’acceptation croissante de la diversité de genre et le militantisme des jeunes et moins jeunes générations, reflète un changement croissant dans les mentalités et les structures sociales.
Cependant, cette reconnaissance accrue s’accompagne de défis persistants et de nouvelles rhétoriques, scientifiquement fausses, visant à restreindre et à limiter les droits des personnes transgenres. En effet, les études, comme celles d’Ayden Scheim, chercheur canadien spécialisé dans la santé transgenre, ou celles de Denise Medico, experte en psychologie clinique, montrent que malgré les avancées, les personnes trans, et en particulier les jeunes, continuent de faire face à des obstacles systémiques. Ces obstacles sont à la fois pragmatiques et idéologiques : d’une part le manque d’accès à des soins adaptés dans des cliniques spécialisées et le manque de formation sur les thématiques trans des professionnel·les des cliniques “généralistes” ; d’autre part la prolifération de discours transphobes dans les sphères publiques, politiques et médiatiques.2
L’augmentation des demandes de transition, pointées du doigt par les transphobes, s’explique par plusieurs facteurs sociaux et structurels. Selon Ayden Scheim, l'augmentation des demandes de transitions médicales reflète, non pas un phénomène de mode mais une acceptabilité sociale grandissante. Les jeunes semblent non seulement plus ouverts aux questions d'identité de genre mais se sentent également plus à l’aise d’en parler ouvertement et/ou d’envisager une transition si iels en ressentent le besoin.
Par ailleurs, Denise Medico souligne que cette évolution coïncide avec l’ouverture (au niveau mondial) de cliniques spécialisées pour les jeunes, facilitant l’accès aux consultations et aux soins.3 Or, il existe très peu de centres spécialisés pour les jeunes transgenres en Belgique et les équipes médicales formées aux questions de genre prennent majoritairement en charge des adultes (à l’exception de Gand et d’Anvers qui ont des équipes spécialisées dans la prise en charge des mineur·es)4.
Dès lors, une question fondamentale se pose : comment la société peut-elle répondre aux besoins croissants des jeunes trans tout en combattant et en déconstruisant les rhétoriques qui menacent ces progrès ? L’analyse approfondie qui suit explore les rhétoriques conservatrices et d’extrême droite sur le sujet et les défis qui persistent. Elle vise également un rétablissement des vérités scientifiques et une déconstruction des clichés sur les transidentités.
Au cours de la dernière décennie, la Belgique a fait preuve d’avancées significatives en matière de droits des personnes trans. En effet, la “loi de 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres en ce qui concerne la mention d'une modification de l'enregistrement du sexe dans les actes de l'état civil et ses effets”5 a facilité la procédure de modification de l'état civil en supprimant les exigences et conditions médicales, notamment de stérilisation et de diagnostic psychiatrique.6
En quelques mots, la loi a renforcé les droits des personnes transgenres en introduisant le principe d’autodétermination, en simplifiant les procédures (changement de marqueur de genre et de prénom), et en les rendant accessibles aux mineurs de plus de 16 ans (pour le marqueur de genre) ou de 12 ans (pour le prénom) sous conditions.7 Cette nouvelle loi fut d’ailleurs saluée par Amnesty International comme "un grand pas pour les droits humains".8
En juillet 2023, la loi a été adaptée afin de permettre plusieurs changements de marqueur de genre et de prénom au cours de la vie, toujours sur base de l’autodétermination. De plus, il n’y a plus de nécessité de corrélation entre le marqueur de genre et le genre perçu du prénom choisi.
La Belgique, se voulant progressiste, continue d’avancer. En effet, depuis le 1er janvier 2025, quatre nouveaux centres ont ouvert afin d’accueillir les personnes souhaitant entamer une transition, en plus de l’UZ Gent et du CHU de Liège. Parmi ces nouveaux centres, on compte trois hôpitaux en Flandre et l’hôpital Erasme de Bruxelles.9 Nous soulevons tout de même la question suivante : quelles sont les explications de la disparité entre le nombre de centres en Flandre et leur plus faible nombre en Wallonie?
Malgré les progrès considérables de la Belgique dans l’accompagnement des personnes trans, les défis persistent et ces avancées sont mises à mal par les rhétoriques anti-genre et anti-trans issues notamment des milieux conservateurs et de l’extrême-droite. Selon les chiffres, la proportion de personnes transgenres/de genre fluide dans la population est estimée entre 0,5 et 4,5% des adultes et 1,2 à 8,4% des mineur·es. Parmi cette population, une enquête de l’IEFH fait état des discriminations fréquentes subies. On estime à 10 % le pourcentage de personnes transgenres ayant porté plainte pour discrimination.10
Par ailleurs il est difficile d’ignorer l’inquiétante tendance internationale régressive. L’année 2024 fut d’ailleurs décrite dans les rapports d’Amnesty International comme "sombre" pour les droits des personnes transgenres.11 Parallèlement à ces questions de droits, nous constatons une montée générale des discours anti-trans scientifiquement faux et stigmatisants ainsi qu’une recrudescence de la violence envers les personnes concernées.
Pour ne citer que quelques exemples, aux États-Unis, le Parti Républicain a interdit les transitions pour les mineurs trans dans 23 États. La récente élection de Donald Trump à la présidence américaine a déjà des conséquences, ce dernier ayant déclaré à plusieurs reprises qu’il n’y a que deux genres (masculin et féminin) et selon ses termes, deux “sexes”. Les personnes trans qui renouvellent leur passeport depuis la prise de fonction de Donald Trump ont la mauvaise surprise de voir leurs documents revenir au marqueur de genre assigné à la naissance. En Russie également, le gouvernement a interdit les transitions médicales et administratives pour les personnes trans. La communauté LGBTQIA+ dans son ensemble est d’ailleurs maintenant déclarée comme "extrémiste" par le président Poutine.12
Depuis quelques années, l'extrême-droite cible précisément la communauté transgenre, et ce, pour plusieurs raisons idéologiques mais aussi stratégiques.
Premièrement, ces attaques s'inscrivent dans une offensive internationale coordonnée contre ce que la droite et l’extrême-droite appellent le “wokisme” et spécifiquement contre les luttes pour le droit à disposer de son corps. Les positions conservatrices contre les droits reproductifs (PMA, avortement, euthanasie etc.) et contre les droits des personnes transgenres sont amalgamées pour construire une réaction aux progrès réalisés au début du siècle, notamment sur les questions féministes.13 Il s’agit ainsi de s'opposer aux avancées intersectionnelles des droits des femmes* et des personnes LGBTQIA+, spécifiquement des personnes trans qui remettent en question la binarité entretenue par la logique patriarcale.
Deuxièmement, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle "panique morale" - créée de toutes pièces sur des arguments ne reposant sur aucune méthodologie scientifique, et présentant les personnes trans comme une menace pour les enfants et pour la société. Les mouvements conservateurs et spécifiquement l'extrême-droite tentent ainsi de susciter une attitude réactionnaire face à un groupe minoritaire,14 une stratégie de langage déjà utilisée dans les moments les plus sombres de l’Histoire. La transphobie est alors utilisée comme un outil supplémentaire - au même titre, par exemple, que l’instrumentalisation de stéréotypes islamophobes - pour rassembler de nouvelles forces autour de l'extrême-droite et pour élargir sa base électorale, en complément de ses thèmes habituels comme le racisme, la xénophobie et le nationalisme.15
De ce fait, en s'attaquant aux droits des personnes trans, l'extrême-droite cherche à imposer une vision binaire et restrictive du genre, en phase avec son idéologie conservatrice, renforçant une vision essentialiste du genre.16
En ciblant la communauté trans, l'extrême-droite réactive des mécanismes d'exclusion et d'altérité déjà utilisés contre d'autres groupes minoritaires, tout en cherchant à légitimer son discours transphobe dans l'espace public par la création d’un "ennemi de l’intérieur" qui serait une menace pour les valeurs familiales et pour la protection de l’enfance.17
Dans les débats télévisés, nous avons tous·tes déjà entendu des stéréotypes prétendument fondés sur la "science" ou justifiés par "la protection des enfants". Pourtant, ces arguments sont objectivement infondés et scientifiquement réfutables. À titre d’exemples :
La section suivante analyse point par point les idées reçues les plus souvent employées par les courants conservateurs, d'extrême-droite, anti-trans et anti-genre – en somme, par les voix transphobes de la société – et déconstruit minutieusement chacune de ces rhétoriques.
La rhétorique anti-trans s’attaque avec virulence aux bloqueurs de puberté, les présentant comme une menace pour les jeunes et une aberration médicale, avancés comme étant irréversibles et par conséquent, facteur de regrets. Or, un examen approfondi des études et données scientifiques ainsi que des témoignages de professionnel·les de la santé révèlent que ces arguments sont scientifiquement infondés et reposent sur une manipulation de l’information en vue de créer des contre-vérités.
Loin d’être un facteur de regrets, les études montrent que le recours aux bloqueurs de puberté a des effets hautement bénéfiques sur la santé mentale des jeunes en situation de dysphorie de genre. Leurs effets sont, en outre, totalement réversibles (nous développerons cet aspect dans le point suivant). De plus, le nombre de personnes transgenres éprouvant des regrets quant à leur processus de transition est tellement faible que l’on pourrait le considérer comme anecdotique (cf. 3.2. “L’argument du regret et de la détransition”). Pourtant, les mouvements anti-trans n'ont de cesse de sur-visibiliser les parcours atypiques de détransition pour tenter d’étayer la prétendue validité de leur discours.
Les bloqueurs de puberté, également appelés analogues de la GnRH (hormone de libération des gonadotrophines)18, sont des médicaments utilisés pour suspendre temporairement la puberté19 chez les jeunes vivant une dysphorie de genre.20 Ces traitements bloquent la production d’hormones sexuelles, retardant ainsi le développement des caractéristiques sexuées secondaires, telles que la pilosité ou la mue de la voix, et mettant la puberté "en pause".21 Ils sont fréquemment confondus avec les hormones d'affirmation du genre dont certains effets sont irréversibles sur les caractéristiques sexuées secondaires et ne sont généralement pas prescrites aux mineur·es de moins de seize ans préalablement sous traitement bloqueur de puberté.22
Les bloqueurs de puberté sont donc généralement prescrits au début de la puberté, sous supervision médicale, et leur prescription et utilisation s’inscrivent dans un processus rigoureux et multidisciplinaire qui implique une évaluation de la situation du/de la mineur·e, un suivi attentif de l’évolution de l’identité de genre et du bien-être psychologique des jeunes, un accompagnement psychologique et un dialogue étroit avec les parents.23
Et, nous réinsistons sur ce point: ceux-ci sont réversibles24. En effet, une fois le traitement arrêté, la puberté reprend son cours.25 Aussi, la prise de celui-ci permet une possible préparation à un éventuel traitement d’affirmation de genre à l’âge adulte. Si un traitement d’affirmation de genre est envisagé, les bloqueurs peuvent limiter la nécessité d’interventions chirurgicales lourdes ou rendre ces interventions moins invasives.26 Ce qui conduit d’ailleurs à une amélioration des résultats post-chirurgicaux. En empêchant le développement de certains caractères sexués secondaires, les bloqueurs peuvent permettre une apparence physique plus alignée avec le genre affirmé, ce qui est souvent corrélé à de meilleurs résultats après une transition médicale.
Comme expliqué ci-dessus, l'un des arguments les plus répandus contre les bloqueurs de puberté est leur prétendue irréversibilité et les risques qu'ils représenteraient pour la santé des jeunes. Contrairement aux affirmations alarmistes, les bloqueurs de puberté, en plus d’être réversibles, sont sûrs.
Il est également fondamental de souligner que les bloqueurs de puberté sont utilisés depuis de nombreuses années dans le traitement de la puberté précoce chez les mineur·es cisgenres, et leur sécurité est largement documentée. Les études réalisées dans ce contexte ont démontré l'absence d'effets secondaires graves.27 Les effets des bloqueurs de puberté s’estompent après l’arrêt du traitement et la puberté reprend alors son cours initial.
La prise de bloqueurs de puberté représente donc une décision médicale encadrée et réfléchie. Les professionnel·les de santé qui accompagnent ces jeunes sont des expert·es qualifié·es qui agissent dans le meilleur intérêt de leurs patient·es, en accord avec les recommandations scientifiques internationales.28
De nombreuses études, dont une étude indépendante commandée par le gouvernement australien et publiée en septembre 2024, concluent que les bloqueurs de puberté sont efficaces pour atténuer la détresse psychologique liée à la dysphorie de genre chez les jeunes transgenres, sans effets secondaires graves.29
En effet, les bloqueurs de puberté ont un impact positif significatif sur la santé mentale des jeunes. Une étude publiée dans JAMA Pediatrics en 2022 montre que l’accès aux bloqueurs de puberté est associé à une amélioration significative de la santé mentale des jeunes transgenres et non-binaires avec une réduction des symptômes de dépression, d’anxiété et des pensées suicidaires.30
Comme le souligne le Dr. Ronita Nath de “The Trevor Project”, refuser l’accès à ces traitements expose ces jeunes à un risque accru de souffrance psychologique et de suicide.31 Il est d’ailleurs avéré que le risque de suicide est généralement plus élevé au moment de la puberté pour les jeunes transgenres, ce qui justifie la prescription de bloqueurs de puberté.32 Le rapport de “Nature Human Behavior” de 2024 déclare que les tentatives de suicide ont augmenté de 7 % à 72 % chez les jeunes trans et non-binaires aux États-Unis, surtout chez les moins de 18 ans, en lien direct avec l'adoption de lois anti-transgenres.33
Le répit offert par les bloqueurs de puberté aux jeunes transgenres est essentiel puisqu’il leur permet de réfléchir sereinement à leur identité de genre sans avoir à subir les transformations corporelles à la source d'angoisse et de dysphorie, et d’ainsi mûrir leur réflexion et leur décision de poursuivre ou non leur processus de transition en pleine conscience. 34
Les arguments anti-trans sur les bloqueurs de puberté reposent donc sur une instrumentalisation de la peur et de l'ignorance. Ils exploitent les inquiétudes des parents en diffusant des informations erronées ou biaisées sur ces traitements, sans tenir compte des données scientifiques ni des témoignages des personnes concernées. La conséquence logique de cette instrumentalisation est l’émergence d’un climat de suspicion et de méfiance envers les professionnel·les de santé, la stigmatisation des jeunes transgenres, la restriction de leurs droits et de leur accès aux soins de santé.
Le regret est une émotion complexe qui apparaît lorsqu’on estime qu’un choix passé aurait pu produire un meilleur résultat. Janet Landman (1993) le définit comme un concept polyvalent, notamment à travers l’"agent regret" de Rorty (1980), qui se traduit par un auto-reproche face à une décision aux conséquences décevantes (Bourgeois-Gironde, 2010 ; Gilovich et Medvec, 1995 ; Zeelenberg et al., 2000).
Une étude américaine d’août 2024 souligne la diversité des regrets en distinguant le "vrai regret" (lié à la chirurgie d’affirmation du genre), le "regret social" et le "regret médical" (Wiepjes). En réalité, les taux de regret après ces chirurgies sont très faibles, comparés à ceux d’autres interventions telles que les chirurgies mammaires ou esthétiques. Les facteurs influents incluent un manque de soutien, des complications post-opératoires, des attentes irréalistes, ainsi que la stigmatisation et la discrimination. Le regret peut même apparaître, de façon épisodique, plus de dix ans après l’opération.
L.A. Paul introduit le concept de “traitements transformateurs personnels” (PTTs), qui modifient profondément l’identité et rendent les regrets difficiles à anticiper. Pour lui, et selon Denbow (2015) dans une étude du Ethical Theory and Moral Practice Journal (2017), refuser un traitement par crainte d’un regret futur porte atteinte à l’autonomie des patients, qui doivent être accompagnés dans leurs choix éclairés.
En somme, le regret ne signifie pas nécessairement une erreur de jugement, mais plutôt la difficulté d’anticiper l’évolution de ses valeurs et préférences après une décision transformatrice.
Les mouvements anti-trans ont tendance à exagérer considérablement le taux de regret après une transition de genre, présentant le regret comme un phénomène courant et massif, alors que les données scientifiques démontrent le contraire (entre 0,3% et 3,8% selon les méthodologies). Certaines recherches, dont une méta-analyse portant sur plus de 7 900 personnes, font même état de taux inférieurs à 1 % après une chirurgie d'affirmation de genre. Cette exagération a pour but de créer un climat de peur et d'incertitude quant à la transition, en particulier chez les jeunes, à travers l’omission des données scientifiques.
Dans d’autres études à la méthodologie douteuse, on constate une simplification du concept de regret ; celle-ci étant réduite et simplifiée à une remise en question de l'identité de genre, alors que le regret est un sentiment complexe influencé par de nombreux facteurs, comme détaillé dans la section précédente. Les complications chirurgicales, le manque de soutien social, les difficultés d'intégration sociale et les discriminations sont autant de facteurs qui peuvent contribuer au regret, sans pour autant remettre en question l'identité de genre profonde d'une personne trans.
Ce sont alors les résultats de ces études, pourtant biaisés par la distorsion et la subjectivité des termes choisis, qui sont utilisés comme outil politique afin de restreindre, voire d’interdire, l'accès aux soins d'affirmation du genre, en particulier pour les mineur·es.
L'instrumentalisation de cet argument entraîne une négation de l'autonomie des personnes trans ainsi que de leur capacité à prendre des décisions éclairées concernant leur propre corps et leur identité. Une communauté composée de profils diversifiés est alors décrite tout entière comme manipulée ou incapable de savoir ce qui est bon pour elle. Cela relève d’une forme de paternalisme et d’un manque de respect fondamental pour l'autodétermination des personnes.
La détransition, liée à un concept de “regret” sans nuance, est souvent mal définie, sujette à des interprétations divergentes et présentée comme une preuve de l'échec de la transition et de la fragilité des identités transgenres. Les discours anti-trans occultent la complexité de ce phénomène et négligent les facteurs externes (pression sociale, discrimination, manque de soutien) qui peuvent influencer la décision d'interrompre une transition.
Quelques définitions sont nécessaires. L’étude du “Annals of Translational Medicine”35 de 2021 distingue :
Un autre terme similaire est fréquemment utilisé pour parler de détransition, il s’agit du terme “désistance”. Ce concept, initialement issu de la criminologie, désigne à l’origine l'abandon de comportements criminels. Il a ensuite été appliqué pour qualifier les enfants qui, après une transition, se réidentifiaient au genre assigné à la naissance (Littman, 2018 ; Zucker, 2018). Cependant, sa définition opérationnelle varie largement :
Ces variations sont fondamentales, car elles déterminent quels individus sont inclus ou exclus dans les catégories de "désistants" ou de "détransitionnistes". Il est donc important de ne pas simplifier cette notion de “détransition”, car la réalité est complexe. En effet, la définition opérationnelle de la "détransition" varie considérablement d'une étude à l'autre. Cela rend difficile, tant l’analyse que la comparaison des résultats des études.
De ce fait, la motivation derrière le phénomène de détransition n'est pas toujours un "regret" au sens général. Les raisons de l'arrêt d'une transition sont multiples et souvent externes, telles que la pression familiale, la discrimination, la difficulté à trouver un emploi, ou encore les complications médicales. Ces raisons sont généralement liées à des facteurs psychosociaux et non à une remise en question de l'identité de genre. D’ailleurs, la détransition n'implique pas nécessairement un retour en arrière. En effet, une personne peut interrompre un traitement hormonal sans pour autant renoncer à son identité de genre. Elle peut adopter une identité non-binaire ou encore faire évoluer son expression de genre.
Nombreuses sont les études scientifiques à apporter des nuances aux raisons du regret et à attester, toutes causes confondues, du taux extrêmement faible de détransition.
En réalité, les mouvements anti-trans font un biais de confirmation en s'appuyant sur des témoignages individuels de regret ou de détransition, ensuite amplifiés par les médias, pour les généraliser et créer l'illusion d'un phénomène massif. Ils ignorent la grande majorité des personnes transgenres qui jouissent de leur transition et vivent une vie épanouie.36
Nous nous permettons une petite parenthèse liée à notre veille médiatique pour souligner que les médias relayant ces fausses informations sont en grande majorité des médias d’extrême droite (à l’instar de CNews en France) et/ou des médias négligeant le “fact-checking” au profit du buzz.
Les identités transgenres sont présentées comme un phénomène de mode, influencé par la pression sociale, les médias ou l'entourage. Cette rhétorique nie tant l’existence que la réalité de la dysphorie de genre. 37
Cela entraîne une stigmatisation des jeunes trans et les adolescents transgenres sont particulièrement ciblés, accusés d'être victimes d'une "confusion" passagère ou de l'influence néfaste de leurs pairs. Cette rhétorique de la “contagion sociale” n’a aucun fondement scientifique solide38, délégitime les expériences des personnes concernées et dénigre l'accompagnement médical39. Les professionnel·les de santé qui accompagnent les personnes transgenres sont accusé·es de promouvoir une "idéologie du genre" et d'encourager des transitions hâtives et irréfléchies.40
Les discours anti-trans exploitent la peur des parents en brandissant la menace des "dommages irréversibles" causés par les traitements d'affirmation du genre, notamment les bloqueurs de puberté. Ils ignorent les données scientifiques qui attestent de la réversibilité et de l'innocuité de ces traitements.41 En cherchant à limiter, voire interdire, l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les mineur·es, les mouvements anti-trans nient la capacité des jeunes à consentir à un traitement en invoquant la nécessité de les "protéger" contre des décisions qu'iels pourraient regretter plus tard.42
De ce fait, le corps médical qui est habituellement mobilisé comme figure d’autorité, est à son tour pointé du doigt. On assiste même aujourd’hui, dans certains pays, à une criminalisation des professionnel·les de santé. Certaines propositions de loi, inspirées de législations anti-trans aux États-Unis, visent à pénaliser les médecins qui prescrivent des traitements d'affirmation du genre aux mineur·es, créant ainsi un climat de peur et de censure.
Cependant, la frange médicale peut également être un vecteur de transphobie institutionnelle, comme le montre l’adoption en première lecture, le 28 mai 2024 en France, d’un texte de loi interdisant aux mineur·es trans l’accès aux hormones et restreignant l’utilisation des bloqueurs de puberté. Ce texte rend impossible l’accès à une solution médicale temporaire, souvent vitale pour ces jeunes, tout en criminalisant les professionnel·les de santé qui les soutiendraient. Ceci alors même qu’un consensus d’experts a émergé du travail issu de 15 équipes spécialisées, associées à d’autres spécialistes sur certains points spécifiques, en faveur de la reconnaissance et du soutien de l’identité de genre, ainsi que de la prise en charge simultanée des aspects psychologiques, sociaux ou médicaux. Ces experts recommandent qu’avant ou au tout début de la puberté, des analogues de GnRH (bloqueurs de puberté) soient proposés43.
Cette offensive s’inscrit dans le cadre d’une mobilisation internationale contre les droits des personnes trans, orchestrée par des lobbies et groupes transnationaux tels que Genspect, mais aussi en France par des acteurs comme l’Observatoire de la Petite Sirène. Ce dernier, sous couvert de “vigilance médicale”, alimente une méfiance injustifiée envers les parcours de soin des jeunes trans et s’inscrit dans une stratégie idéologique réactionnaire. Ces organisations, souvent alliées aux droites catholiques et à des courants psychanalytiques conservateurs, militent pour un retour à la psychiatrisation et à des pratiques médicales invalidantes. Derrière une apparente neutralité médicale, ces initiatives participent à une transphobie systémique qui met en péril des vies.
Ces discours cherchent en réalité à freiner les avancées obtenues depuis les années 2000, lorsque la communauté des pédopsychiatres a travaillé à intégrer les associations trans dans leurs réflexions.
Florence Ashley, professeure de droit, et Simon(e) Sun, neuroscientifique, identifient trois types de désinformation utilisés par les groupes anti-trans : la sur-simplification des connaissances scientifiques, la mauvaise interprétation des résultats de recherche que nous venons d’analyser et enfin, la promotion de fausses équivalences.44
Nous dressons la triste conclusion que des liens existent entre les mouvements anti-trans, l'extrême droite et les groupes anti-genre. Ces mouvements partagent une vision conservatrice de la société, fondée sur des normes de genre rigides et une hostilité envers les droits LGBTQIA+.45 Un nouvel outil mobilisé par ces convergences de mouvements est l’instrumentalisation du discours féministe. Certains groupes anti-trans s'approprient des éléments du discours féministe et les déforment, pour opposer les droits des femmes aux droits des personnes transgenres, créant ainsi des divisions dans les mouvements alimentant la transphobie.46 Un autre et nouvel outil employé est cette diffusion de fausses informations via les réseaux sociaux pour diffuser des informations erronées ou biaisées sur les identités transgenres.
La transidentité n'est ni une mode ni une idéologie : c'est une réalité humaine présente dans toutes les sociétés et époques. Pourtant, les discours conservateurs et réactionnaires s'acharnent à la discréditer en diffusant de fausses informations et en alimentant des peurs infondées.
Derrière cette opposition se cache un refus profond de toute remise en question de la binarité de genre, un principe structurant de nombreuses sociétés patriarcales. Accepter la légitimité des identités transgenres, c'est reconnaître que le genre n'est pas figé mais fluide, qu'il peut être un continuum plutôt qu'une opposition stricte entre masculin et féminin.
Il est donc essentiel de continuer à informer, à éduquer et à lutter contre la désinformation pour garantir un avenir où chacun·e peut vivre librement sans peur ni discrimination ; pour permettre l’accès à une information de qualité, loin des paniques morales dangereuses pour les droits fondamentaux ; et pour permettre aux futures générations de se sentir en sécurité peu importe leur identité ou expression de genre.
(1) https://www.transgenderinfo.be/nl/identiteit/genderontwikkeling/genderdysforie-incongruentie-en-euforie
(2) Radio-Canada.ca. (2024, octobre 28). Les bienfaits et risques des soins pour jeunes transgenres. Radio-Canada. https://miniurl.be/r-626t
(3) Radio-Canada.ca. (2024, octobre 28). Les bienfaits et risques des soins pour jeunes transgenres. Radio-Canada. https://miniurl.be/r-626t
(4) https://www.transgenderinfo.be/nl/transgenderzorg/minderjarigen/hoe-kan-een-zorgtraject-voor-minderjarigen-eruit-zien
(5) https://etaamb.openjustice.be/fr/loi-du-25-juin-2017_n2017012964.html
(6) https://miniurl.be/r-6286
(7) https://justice.belgium.be/sites/default/files/trans_a5_fr.pdf
(8) https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/nouvelle-transgenre-grand-droits-humains
(9) Article RTBF sur l’ouverture de 4 centres pour accompagner les personnes qui souhaitent une transition de genre :
https://miniurl.be/r-628a
(10) Revendications politiques Genres Pluriels 2024 : https://miniurl.be/r-628b + Informations complémentaires sur le site de Transgender Infopunt : https://miniurl.be/r-628f
(11) https://www.amnesty.be/infos/blogs/blog-carine-thibaut/droits-transgenres-droits-humains
(12) Tribune. Attaques contre les droits trans et reproductifs : n’attendons plus, faisons front ! : https://miniurl.be/r-628g
(13) Tribune. Attaques contre les droits trans et reproductifs : n’attendons plus, faisons front ! : https://miniurl.be/r-628g
(14) « Attaques contre les droits trans et reproductifs : n’attendons plus, faisons front ! » : https://miniurl.be/r-628h
(15) Comment la droite réactionnaire construit une "question trans" ? : https://miniurl.be/r-628i
(16) Genre et sexualités : l’offensive réactionnaire de l’extrême droite : https://miniurl.be/r-628j
(17) Dans le débat sur le genre, une passerelle pour la haine : https://miniurl.be/r-628l
(18) Skinner, S. R., McLamore, Q., Donaghy, O., Stathis, S., Moore, J. K., Nguyen, T., Rayner, C., Tait, R., Anderson, J., & Pang, K. C. (2023). Recognizing and responding to misleading trans health research. International Journal Of Transgender Health, 25(1), 1‑9. https://doi.org/10.1080/26895269.2024.2289318
(19) Brik, T., Vrouenraets, L. J. J. J., De Vries, M. C., & Hannema, S. E. (2020). Trajectories of Adolescents Treated with Gonadotropin-Releasing Hormone Analogues for Gender Dysphoria. Archives Of Sexual Behavior, 49(7), 2611‑2618. https://doi.org/10.1007/s10508-020-01660-8
(20) Brik, T., Vrouenraets, L. J. J. J., De Vries, M. C., & Hannema, S. E. (2020). opt. cit.
(21) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). Comment les mineurs trans sont pris en charge : face à la désinformation, des médecins racontent. Mediapart. https://miniurl.be/r-62at
(22) McQueen, P. (2017). The Role of Regret in Medical Decision-making. Ethical Theory And Moral Practice, 20(5), 1051‑1065.
https://doi.org/10.1007/s10677-017-9844-8
(23) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). opt. cit.
(24) McQueen, P. (2017). opt. cit.
(25) Skinner, S. R., McLamore, Q., Donaghy, O., Stathis, S., Moore, J. K., Nguyen, T., Rayner, C., Tait, R., Anderson, J., & Pang, K. C. (2023). opt. cit.
(26) Brik, T., Vrouenraets, L. J. J. J., De Vries, M. C., & Hannema, S. E. (2020). opt. cit.
(27) Hembree et al., 2017 ; Zucker et al., 2011) + (Cohen-Kettenis & van Goozen, 1997 ; Leibowitz & de Vries, 2016.
(28) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). opt. cit.
(29) Leduc, É. (2024, 29 septembre). Les bloqueurs de puberté sont « sûrs, efficaces et réversibles » , selon une étude indépendante. Fugues. https://miniurl.be/r-62az
(30) Tordoff, D. M., Wanta, J. W., Collin, A., Stepney, C., Inwards-Breland, D. J., & Ahrens, K. (2022). Mental Health Outcomes in Transgender and Nonbinary Youths Receiving Gender-Affirming Care. JAMA Network Open, 5(2), e220978.
https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2022.0978
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(32) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). opt. cit.
(33) Dutil, É. (2024, 1 octobre). opt. cit.
(34) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). opt. cit.
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(40) Carboulec, R. L. (2022, 5 avril). opt. cit.
(41) Dutil, É. (2024, 1 octobre). opt. cit.
(42) Royer, M. (2025, 16 janvier). opt. cit.
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https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2024/04/29/quand-anti-trans-detournent-science
(45) Dutil, É. (2024, 1 octobre). opt. cit.
(46) Royer, M. (2025, 16 janvier). opt. cit.