Et si le sang des HSH n’était plus dangereux ?

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Thierry Delaval, fondateur et ancien président d'Arc-en-ciel Wallonie, a toujours milité en faveur de l'ouverture du don de sang aux HSH. Un rapport du Conseil Supérieur de la Santé traitant de cette question avait été publié le 22 novembre 2016. Long et alambiqué, Les démonstrations scientifiques et les données y sont lacunaires et les sources douteuses. Arc-en-ciel Wallonie vous partage l'analyse minutieuse de ce document, accompagnée d'une interview expliquant les motivations et les conclusions de Thierry Delaval.

Vous pouvez télécharger son analyse complète en cliquant ici.

Thierry, tu suis le dossier du don de sang en Belgique depuis plusieurs années. Peux-tu nous expliquer pourquoi ce dossier en particulier te tient à cœur ?

Arc-en-ciel Wallonie revendique la fin de l’exclusion du don de sang pour les homosexuels depuis 10 ans. C’est dans tous ses mémorandums politiques. Pour ma part, je me suis rendu compte que ne pas pouvoir donner son sang est ressenti parmi les gays comme un déni de citoyenneté, et une humiliation. A priori, il y a quelque chose de très subjectif. Y a-t-il vraiment discrimination ? Est-elle importante ? Est-ce qu’il ne faut pas accepter ça pour garantir la sécurité du don de sang ? Le sujet est complexe. On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de revendiquer la levée de l’exclusion de la même manière qu’on a revendiqué le droit au mariage. On est d’ailleurs pas dans le domaine du droit. Il n’y a pas de droit au don de sang, ce serait absurde. On est plutôt dans une question de justice sociale, d’équité.

En creusant ce sujet, j’ai été de plus en plus convaincu que cette interdiction a une forte dimension irrationnelle. Elle a été instaurée en 1985 dans un climat de panique par rapport à l’émergence du sida. A l’époque, on en parlait comme du cancer gay. Même si on a vite découvert qu’il ne touchait pas que ceux-ci, c’est resté définitivement lié à l’homosexualité. Bien sûr, vu le manque de connaissances sur le vih à l’époque, cette mesure pouvait être justifiée. Mais j’ai toujours été étonné de voir que la sécurisation du sang a été une plus grande priorité que la lutte contre le vih lui-même. L’interdiction faite aux homosexuels a pris des allures de cordon sanitaire autour d’eux.

Puis il y a eu les affaires du sang contaminé. On a en tête les procès qui ont eu lieu en France dans les années nonante et qui ont eu un grand impact. Mais il y a eu aussi de nombreux cas en Belgique, au moins jusqu’à l’instauration du dépistage des dons de sang pour le vih en 1985. Les professionnels de la chaîne transfusionnelle restent tétanisés par ces procès très retentissants. Cela n’aide pas à faire admettre une révision des critères.

L’impact est aussi important en ce qui concerne la confiance dans la prévention. Depuis 30 ans, on dit aux gays que la meilleure façon de se protéger contre le vih est d’utiliser le préservatif. Et c’est encore aujourd’hui un élément central de la prévention. Mais d’un autre côté, on fait passer le message que cette précaution ne vaut pas puisque même si vous utilisez des préservatifs vous ne pouvez pas donner votre sang. C’est tout de même très contradictoire !

Il n’y a par ailleurs en Belgique pas de pénurie du sang, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays voisins. Le nombre de donneurs est suffisant, même si toutes les années il en faut de nouveaux. Donc il n’y a pas vraiment d’incitation chez nous pour élargir la base de recrutement. Cela explique aussi pourquoi notre pays est à la traine par rapport à de nombreux autres pays européens.

L’argumentaire scientifique élaboré pour justifier l’exclusion a quelque chose de surabondant et d'exagéré. Les hypothèses manquent de réalisme. Il y a une espèce de dévoiement du principe de précaution à partir du moment où les justifications se basent sur des modélisations qui maximalisent le risque à outrance.

Toutes ces réflexions m’ont conduit à conclure qu’il y a là une réelle discrimination, même si les experts de la santé publique s’en défendent. Cela m’a motivé. J’ai toujours privilégié le dialogue. Arc-en-ciel Wallonie a participé à toutes les tables rondes organisées depuis 6 ou 7 ans sur le sujet. Mais il faut bien constater que nous nous heurtons à un mur. Si la Belgique s’apprête à bouger maintenant, c’est uniquement sous la pression de la Cour de Justice de l’Union européenne. Mais il est important de profiter de cette occasion pour tenter d’ouvrir les yeux des politiques, en particulier de la Ministre de la santé Maggy de Block. Il y a des éléments qui n’ont rien à voir avec le souci de protéger les receveurs.  

Nous allons vers la levée de l’exclusion à vie des HSH pour une période d’écartement avec une condition de 12 mois d’abstinence à respecter. Certains diront que c’est une avancée, d’autres sont moins enthousiastes. Que penses-tu de cette mesure ?

Passer de l'exclusion à vie à un ajournement de 12 mois revient à s’aligner sur ce que font la plupart des pays voisins : France, Pays-Bas, Royaume-Uni etc. Je ne néglige pas l’aspect symbolique. C’est vrai qu’à priori, c’est moins heurtant. Et en fait, ça aura un impact car à côté des gays, il y a beaucoup d’hommes qui ont connu des relations homosexuelles occasionnelles ou accidentelles. Beaucoup d’entre eux pourront à nouveau donner leur sang. Mais les gays, eux, resteront frappés d’une interdiction à vie de facto. En quelque sorte, on leur dit qu’ils pourront donner leur sang s’ils changent de mode de vie. Dans le fond je trouve ça encore plus énorme, encore plus discriminatoire. C’est la traduction pseudo-scientifique de la compassion catholique qui accueille les homosexuels pour autant qu’ils ne se livrent pas à leurs péchés !

Ce qui ne va pas, c’est que par rapport à ce qu’a dit la Cour de Justice de l’Union européenne, les autorités ne retiennent que le principe de proportionnalité. La Cour dit en effet que la mesure d’exclusion ne doit pas être disproportionnée par rapport au risque. Puisqu’on sait que le problème ne se pose que dans le cas où une personne qui vient donner son sang seulement quelques jours après une infection au vih qui ne serait pas encore détectable, l’exclusion à vie est exagérée pour la Cour. Et la réponse est donc de n’exclure que pour 12 mois. La marge de précaution reste tout de même énorme, vous ne trouvez pas ?

Mais la Cour dit aussi autre chose, qui n’est pas suffisamment pris en considération par les autorités. Elle dit que pour exclure, il faut justifier, sur base de données fiables, actuelles et pertinentes. Et de ce point de vue, les analyses produites ces dernières années par l’Institut Scientifique de Santé Publique et plus récemment par le Conseil Supérieur de la Santé ne sont pas du tout convaincantes. Manifestement, notre pays manque singulièrement d’experts chevronnés en la matière...

Enfin, réduire l’exclusion à 12 mois n’en change pas la nature. Ce sont toujours les homosexuels qui sont visés, pas les comportements à risque.

Dans les réactions courantes face à l’interdiction du don de sang chez les HSH, deux discours ressortent fréquemment. Le premier consiste à suggérer que les HSH n’ont qu’à mentir sur leurs pratiques sexuelles s’ils désirent vraiment donner leur sang. Le second commentaire, plus fataliste, considère que le fait de ne pas donner son sang est presqu’un « acte de rébellion » en réponse à un système qui n’en veut pas. Quel regard portes-tu sur ces deux réactions très différentes ?

Même si on considère l’interdiction comme injuste et même révoltante, je ne me rangerai pas du côté de ceux qui ne respectent pas les critères d’exclusion (et pas seulement celui-là). Je comprends toutefois que certaines situations sont parfois difficiles. Imaginez, la Croix-Rouge fait une opération de récolte dans votre entreprise et qu’un grand nombre de vos collègues fassent un don. Cela peut être compliqué de justifier pourquoi vous, vous ne donnez pas. Il est toujours possible de rappeler la Croix-Rouge par la suite, mais vous en ressortirez toujours blessé. Il faut prendre en considérations des situations telles que celles-là, notamment en réponse aux tentations de pénaliser les donneurs qui ne respecteraient pas les critères d’exclusion.

L'attitude inverse est un peu paradoxale. En quoi y a-t-il rébellion si vous vous conformez à un interdit ? Mais on peut aussi voir dans cette attitude un mécanisme de restauration de l’image de soi, et je le comprends fort bien.

Tu as scrupuleusement analysé le rapport du Conseil Supérieur de la Santé. Tu en as tiré plusieurs conclusions surprenantes dans un document disponible via ce lien…. Ces conclusions mettent à mal le travail réalisé par le CSS. Le sujet est complexe et ce document est pointu…peux-tu en résumer quelques points essentiels ?

Ce que je critiquais à propos de la qualité scientifique des analyses vaut en particulier pour cet avis. D’une part, il est parsemé de jugements de valeur implicites peu compatibles avec une approche scientifique. D’autre part, il y a tellement d’hypothèses restrictives qui s’accumulent que l’on en vient à se demander si il y a encore un lien avec le réel. Les experts qui ont rédigé ce texte sont devant une situation difficile car ils doivent évaluer les risques avec des modélisations statistiques. Or, le danger est réellement minime. Il n’y a plus eu de cas de transmission du vih à un receveur depuis plus de quinze ans, mais les modèles de risque disent qu’il pourrait y avoir un cas tous les deux à trois ans. Par rapport à cette modélisation très conservatrice, on en vient à estimer dans quelle mesure le risque s’accroîtrait si l’interdiction était totalement levée. Et c’est là que les hypothèses posées deviennent souvent délirantes. J’en passe quelques unes en revue dans mon analyse. Tout se passe comme si il fallait absolument démontrer une augmentation du risque. Mais au total, la démonstration fait flop.

Ce qui est le plus significatif au fond, c’est ce qui n’est pas dans cet avis. C’est l’impact de ce qu’on appelle la "période éclipse". Je m’explique. Dans les tous premiers jours après une infection au vih, le virus commence à se dupliquer dans le sang. Il faut que la quantité de virus atteigne un certain seuil pour devenir à son tour infectieux. Cette période est d’une dizaine de jours en moyenne. On a pu constater depuis une quinzaine d'années, que tant que ce seuil n’est pas atteint, l'infection ne se développera pas non plus suite à une transfusion sanguine. Cette période éclipse correspond presque à ce qu’on appelle la "période fenêtre". Ici on parle de la période durant laquelle les tests de dépistage génomique utilisés pour contrôler les dons de sang ne peuvent pas détecter le vih même si le donneur est infecté. Le Conseil Supérieur de la Santé nous dit qu’en Belgique, en fonction des méthodes utilisée chez nous, cette période est de 9 jours en moyenne. En conséquence, soit un don infecté est dépisté et écarté, soit l’infection est tellement récente qu’il n’y a pas de risque de transmission. Il reste deux éléments d’incertitude. Premièrement, les centres de traitement du sang, qui procèdent aux dépistages, se conforment-ils bien à ce niveau très élevé de réalisation des tests, et leurs procédures évitent-elles bien tous les risques d'erreurs ? Deuxièmement, les tests disponibles couvrent-ils bien tous les sous-types de vih ? On sait que certains sous-types extrêmement rares ne réagissent que plus tardivement aux tests. Mais on est dans l’infinitésimal et le fait d’écarter ou non les HSH échappe à toute estimation statistique un tant soit peu réaliste.

Arc-en-ciel Wallonie souligne depuis longtemps l’importance d’un questionnaire complet réalisé avec les donneurs de sang. Un document qui s’attarderait sur les détails des pratiques sexuelles des donneurs. Cependant, il y a une réelle réticente de la part du monde médical à mettre en place ce procédé. Comment interprétez-vous ce message véhiculé par les médecins ?

Ce qui est amusant, c’est que le Conseil Supérieur de la Santé voit la réticence plutôt du côté des candidats au don. Je n’y crois pas. Et même si c’était le cas, je pense qu’il ne faut pas en tenir compte. Si une personne ne souhaite pas répondre à des questions un peu plus intrusives mais qui permettent d’évaluer le risque en fonction du comportement plutôt que d’exclure un groupe à risque, et bien tant pis pour eux.

Il me paraît plus vraisemblable que ce soit effectivement les centres de collecte qui sont réticents. Pour au moins deux raisons. Ils ont peur d’allonger l’entretien pré-don pour des raisons pratiques. Mais surtout, je crois qu’ils sont eux-même très mal à l’aise à l’idée de poser ces questions plus précises. Le monde médical est assez conservateur en moyenne. Et la santé sexuelle n’est pas un sujet sur lequel leur formation s’arrête beaucoup. Cela obligerait certainement les organismes de collecte à d’importants efforts de formation de leur personnel. Il y a donc des considérations morales, mais aussi économiques.

Quel est selon vous la période d’exclusion idéale des personnes ayant eu un rapport à risque ?

Ce que je disais à propos du vih pourrait faire penser qu’aucune période d’exclusion n’est nécessaire. Mais il y a d’autres types d’infection, comme l’hépatite B ou l’hépatite C. Les questionnaires en tiennent déjà compte. Il ne faut pas oublier  que si vous changez de partenaire, si vous avez plusieurs partenaires ou des rencontres occasionnelles, qui constituent des comportements à risque, il vous sera demandé de ne pas donner votre sang durant quatre mois. Cette période d’ajournement et ces motifs me paraissent justifiés, et tout à fait suffisants, que le donneur soit hétérosexuels, bi, ou homosexuel.

En parallèle, la clinique de Soho (56 Dean Street), Le plus grand centre de santé sexuelle du Royaume-Uni, a constaté une baisse de 40% des infections au vih en 2016. Dans un communiqué de presse, l'hôpital (Chelsea and Westminster) qui gère le centre affirme avoir diagnostiqué 373 nouvelles infections au vih de janvier à novembre 2016, contre 626 sur la même période en 2015, soit une baisse de 40,4 %.

La PrEP pourrait avoir joué un rôle important dans cette chute de diagnostic, et ce, malgré le fait qu'elle ne soit pas encore disponible via les voies officielles.


Lien (en anglais) de l'article ici.

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