France : le mariage et les écorchures

lapresse.ca

Ce 23 avril 2013 le pays des droits de l'homme a ouvert le mariage aux personnes de même sexe, non sans laisser un profond sentiment d'amertume.

Après des mois de débats parlementaires souvent houleux, après des manifestations aux relents extrémistes, après une série d'agressions contre des gais et des lesbiennes, à la suite d'une gestion chaotique de ce dossier par la majorité et une instrumentalisation outrancière par l'opposition, la France a enfin adopté la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe.

Ce qui aurait du être une fête et une victoire du mouvement LGBT français, mobilisé depuis près d'un an (on se rappellera l'immense succès de la marche des fiertés à Paris en juin 2012), restera probablement un cas d'école pour la communauté scientifique qui, du juriste au sociologue, aura matière à s'interroger pour quelques décennies. La France a jeté à la face du monde une image méconnue il y a peu, provoquant surprise, ahurissement et colère, en particulier chez nous, les voisins proches, qui partageons le même amour de la France. Trop, sûrement, au regard des vexations, des insultes et des injures que nous avons ressenties tout autant que les français et les françaises restés nombreux à voir dans cette loi un véritable progrès démocratique.

Deux figures politiques tout de même ont été remarquables.

Erwann Binet, tout d'abord, le Président de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, qui a eu à cœur d'organiser un débat en profondeur, avec une patience infinie, invitant de nombreux experts et témoins, dont certains, comme le Sénateur Mahoux, venus de Belgique. Les témoignages d'enfants issus de couples de même sexe resteront des pièces d'archives pour ce qu'ils auront révélés au grand public une réalité tangible et tout à la fois simple et belle.

Christiane Taubira, surtout, Ministre de la Justice, dont la superbe éloquence ne doit pas faire oublier sa constance, sa conviction et son engagement profond dans une défense acharnée mais jamais conflictuelle de ce texte de loi. Elle qui dès après le vote, par 331 pour et 225 contre, s'est inquiétée des effets désastreux sur les jeunes LGBT du déferlement homophobe qui a inondé la France et ses médias durant de longs mois. S'adressant à eux en particulier, elle lancera avec émotion et solennité ce message d'espoir et d'apaisement :

Nous savons que la responsabilité de la puissance publique, c’est de lutter contre les discriminations. (…) Nous voulons dire en particulier aux adolescentes et aux adolescents de ce pays qui ont été blessés, qui ont été désemparés ces derniers jours. Qui ont été dans un désarroi profond, immense. Qui ont découvert une société où une sublimation des égoïsmes permettait à certains de protester bruyamment contre les droits des autres.

Nous voulons leur dire simplement qu’ils sont dans leur singularité et dans leur place dans la société. Que nous les reconnaissons dans leur place dans la société, avec leurs mystères, avec leurs talents, avec leurs défauts et leurs qualités, leurs fragilités. Que c’est ça la singularité de chacune et chacun d’entre nous, indépendamment même de toute question sexuelle. Chacune, chacun d’entre nous est singulier et c’est la force de la société. Et c’est même la condition de la société, c’est la condition de la relation dans la société.

Alors nous leur disons : si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela. Ce sont des paroles qui vont s’envoler. Restez avec nous et gardez la tête haute ! Vous n’avez rien à vous reprocher.Nous le disons haut et clair, à voix puissante, parce que comme disait Nietzsche : les vérités tues (celles que l’on tait) deviennent vénéneuses.

Parce que ces paroles existent, parce que des milliers de témoignages sur les sites internet, les blogs et les réseaux sociaux vont dans le même sens, nous savons que la France a d'autres visages que ceux de la haine, de la violence, de la méchanceté. Il y aura bientôt des mariages entre hommes et entre femmes dans l'Hexagone, et bientôt ceux-ci seront tout aussi naturels qu'ils le sont déjà en Belgique. La France n'échappera pas à la marche de l'égalité, eût-elle été plus difficile ici qu'ailleurs.

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