Il y a 60 ans, nous étions invisibles

Jeudi dernier, un colloque était organisé qui revenait sur 60 ans de mouvement LGBT. 60 ans. Ni plus, ni moins.

Alors autant le dire tout de suite, rien n'était pareil il y a 60 ans. Pas de loi anti discrimination. Pas d'égalité de l'accès au mariage ou à l'adoption. Pas de subventions publiques. Pas de maison arc-en-ciel. Pas de gay pride. Pas de drapeau arc-en-ciel. Pas d'associations. Pas de recherche universitaire en la matière. Pas d'émissions télé ou radio. En fait, c'est bien simple… c'était l'invisibilité la plus totale, la plus obscure.

L'histoire du mouvement LGBT, disons même, l'histoire du mouvement social homophile/gouine/pédé/homosexuel/gay/lesbien c'est avant tout une histoire de pissotières, de jardins publics, de tripots,… en un mot, de clandestinité.

C'est également une histoire d'hostilité. D'hostilité étatique : théorie de la séduction, article 372bis du code pénal (majorité sexuelle différenciée pour relations homos ou hétéros), article 379 du même code (définissant la débauche, pas abrogé à ce jour),… plusieurs "affaires" (judiciaires) ont émaillé l'histoire du mouvement.

L'hostilité est également sociale. On ne fait pas de coming out. On s'exile, on se cache, on maintient des relations hétéros. Et de façon générale, on ne parle pas de sexe.

Dans ce contexte, le premier enjeu, c'est de vivre sa sexualité. C'est la raison d'exister des premiers petits groupes qui se forment à partir de 1953. On a peu de traces de ces rassemblements homophiles.

Ensuite vient le moment de la visibilité. Deuxième moitié des années 60, la société bouillonne. De véritables structures à visées politiques sont créées : le Centre de Culture et de Loisir (dans le courant homophile à ses débuts) et Mouvement homosexuel d'Action révolutionnaire (MHAR, inspiré du Front homosexuel d'Action révolutionnaire, FHAR, français) en seront deux exemples emblématiques.

C'est également le début des radios libres. Certaines n'hésiteront pas à diffuser des programmes homos (Antenne Rose sur Radio Air Libre par exemple).

Lors des réunions, on parle de trotskysme, d'anarchisme, de maoïsme, de l'Eglise (qui réaffirme sa doctrine familiale dans les années 70),… et des lesbiennes.

Celles-ci évoluent bien souvent entre le mouvement homo et le mouvement féministe, sans toujours parvenir à se faire entendre dans l'un ni dans l'autre.

Dans les années 80, le Sida et le nombre dramatique d'homos qu'il emporte avec lui vient bouleverser les perceptions, les codes, la culture même du mouvement.

Des associations seront créées pour l'accueil des premiers cas, puis, progressivement pour la prévention de la maladie. On découvre le VIH, le préservatif fait ses preuves cliniques, on est dans les années 90 et Ex Aequo est créée.

C'est également dans les années 90 que la Gay Pride, hommage aux émeutes de Stonewall en 1969, est organisée chez nous, à Anvers, Gand et finalement en 1996 à Bruxelles.

Cet extraordinaire travail historique entrepris par un petit groupe à l'initiative de David Paternotte, chercheur à l'ULB, est indispensable.

Les LGBT font partie des minorités pour lesquelles aucune transmission familiale n'est possible. Nous sommes (presque) toutes et tous nés au sein de foyers familiaux hétérosexuels (largement ignorants de la culture et de l'histoire du mouvement homo) et nous ne connaissons pas assez ces 60 ans d'histoire qui nous séparent de l'invisibilité et de l'obscurantisme.

Cette Histoire collective qui nous a permis d'atteindre le relatif confort auquel nous sommes parvenus maintenant.

L'intégralité du colloque a été filmée. Argons que les cassettes ne resteront pas longtemps dans leur boîte. Et que leur contenu sera accessible à un public encore plus large que la centaine de personnes présentes jeudi dernier.

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