En février dernier, Jacques Balthazart, endocrinologue à l'Université de Liège, publiait un livre visant à synthétiser ce que la biologie sait de l'homosexualité (Editions Mardaga 2010).
Une somme très intéressante de recherches essentiellement anglo-saxonnes, peu connues chez nous, mais qui laisse perplexe.
Lorsqu'il étudie l'homosexualité, le biologiste s'attache-t-il d'abord à comprendre de quoi il s'agit ?
Selon Jacques Balthazart, on naît homosexuel, on ne choisit pas de le devenir. L'origine de l'homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l'attitude de leurs parents ou dans les décisions conscientes des sujets concernés. L'orientation sexuelle serait sous le contrôle d'un ensemble de facteurs environnmentaux et biologiques, mais ces derniers auraient un rôle déterminant.
Le livre cherche dès lors à présenter la littérature scientifique, très abondante mais presqu'exclusivement anglo-saxonne, qui tend à confirmer l'existence d'une base biologique à l'orientation sexuelle humaine. En synthèse, l'influence serait le fait du milieu hormonal auquel est exposé l'embryon, en association avec des prédispositions génétiques plus ou moins "pénétrantes" (c'est-à-dire la proportion entre le nombre d'individus porteurs d'un caractère génétique et celui chez qui cela se traduira par un comportement correspondant).
Le point de départ du livre est tout-à-fait pertinent. Sa lecture m'a pourtant laissé perplexe sur de nombreux aspects.
Disons tout de suite qu'il contient un grand nombre d'informations extrêmement utiles et intéressantes. C'est d'ailleurs la principale qualité du livre que d'être extrêmement documenté. De plus il donne accès au public francophone à un champ de recherche presqu'exclusivement anglo-saxon. Il y a pourtant des lacunes, notamment concernant le règne animal. La seule homosexualité "spontanée" à ce niveau concerne les moutons ! C'est un peu court.
Par contre la structure du raisonnement est très lacunaire.
Premièrement, Balthazart fait sien le principe de continuum entre homosexualité et hétérosexualité (échelle de Kinsey notamment), mais il ne s'en sert nulle part pour interpréter les résultats des recherches biologiques qu'il expose. Toutes les expériences qu'il cite sont construites sur l'opposition homo/hétéro. Parallèlement, il a l'honnêteté d'exposer en début d'ouvrage que l'attirance sexuelle est le résultat de diverses dimensions dont toutes ne sont pas observables par la biologie et les neuro-sciences. Mais dans la suite du bouquin, il réfute systématiquement toute autre source d'observation (psychologie et psychanalyse essentiellement). En fait, l'objet même de ce bouquin tend à varier au fil des chapitres. C'est une incohérence majeure de l'ouvrage dont l'auteur ne semble pas être conscient.
Deuxièmement, Si encore une fois il y a un grand intérêt dans les recherches exposées avec rigueur, je trouve que Balthazart surinterprète les résultats en faveur de la démonstration biologique. Il estime en effet que les éléments d'explication, s'ils sont parcellaires et doivent encore être approfondis, plaident tout de même pour une plus grande solidité de cette explication par rapport aux autres, alors même qu'aucune des recherches mentionnées ne peut expliquer plus de 50% des situations.
Ce que cette somme des recherches menées sur plus de 50 ans tend dès lors à mettre en évidence, c'est la pauvreté des résultats probants. La limite de la biologie est notamment qu'elle ne s'intéresse qu'à la fonction reproductive de la sexualité, ce qui revient finalement à se mettre deux fois en porte à faux avec le principe de continuum : homo vs hétéro et efficacité reproductive ou non.
Il y a toutefois des éléments rassurants.
A ceux qui s'inquiéteraient de possibles dérives eugénistes si l'on venait à découvrir le gène de l'homosexualité, ce livre apporte un démenti catégorique. Si une démonstration devait être faite un jour de son déterminisme biologique, elle serait forcément multi-causale : à la fois génétique, chromosomique, hormonale, congénitale... sans complètement exclure les influences environnementales.
Par ailleurs, même si les hypothèses fondamentales des recherches biologiques sont encore trop influencées par une vision fort peu nuancée de l'homosexualité (on souhaiterait que cette science s'intéresse davantage au phénotype qu'elle étudie), elles plaident fortement en faveur d'une objectivation déculpabilisante basée à la fois sur la variabilité naturelle et l'absence de choix.