Journée internationale du drag. Rencontre avec Peggy Lee Cooper !

"Tu as un côté militant qui est hyper intéressant car je joue rarement devant un public LGBTQI+. Du coup, tu éveilles les consciences et tu secoues la norme à travers tes spectacles. C’est un aspect super important de ce métier. Et c’est là que cela devient intéressant. "

Hello Peggy ! Pourrais-tu te présenter brièvement à nos lecteurs-rices ?

Mon nom de scène est Peggy Lee Cooper et je viens à la base de Seraing. Maintenant, je vis dans le centre ville de Liège.

Depuis combien de temps tu es dans l’art du spectacle/drag ?

Sous la forme de Peggy Lee Cooper, ça fait 10 ans. Dans le spectacle tout court, cela va faire bientôt 30 ans maintenant.

Tu as commencé par toi-même ou quelqu’un t’a initié à l’art du spectacle/du drag ?

J’ai d’abord commencé à la Mama Roma de Liège. Et c’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas de tutos sur internet. Donc si tu avais de la chance, car elles n’aimaient pas la concurrence, tu pouvais avoir accès aux loges et voir comment elles se maquillaient. Puis, tu rentrais chez toi, et tu essayais maladroitement de reproduire ce que tu avais vu. Ensuite, tu étais moche pendant deux ans et puis ça allait mieux !

Après en solo, j’ai jamais fait des trucs qui tournaient autour du costume ou du maquillage. C’était plutôt autour de la performance, de la voix, au niveau de ce que je raconte. Alors oui, je me maquille bien, j’ai de belles perruques mais je ne mets pas 10 000 euros là-dedans.

Du coup, comment définirais-tu ton drag ?

Déjà, je ne t’utilise pas trop le terme “drag”, je me vois comme une “travelotte”, qui est une sous catégorie et rétro du drag. C’est finalement une couleur supplémentaire au terme drag parmi tout ce qu’on peut y retrouver derrière.

Et sur scène, Peggy Lee Cooper, je la vois comme une meuf de 60 ans qui a trop picolé et qui essaye de chanter… la pauvre ! Alors, ce n’est pas Céline Dion; mais ma plus belle critique, c’était qu’on me dise que c’était comme entendre “le cri d’amour d’un morse” !

Il y a mieux comme compliment pour forger une belle estime de soi…

Ah, mais tu sais… dans l’art du spectacle, et surtout dans l’art du drag, si tu n’as pas une peau épaisse, et si tu ne sais pas encaisser les critiques… tu ne vas jamais survivre.

Quand tu vois les commentaires sous les extraits de reportage de la RTBF qui nous parle de Edna qui va lire des contes à des enfants en drag, c’est juste affligeant et méchant.

Avant d’être dans le monde du drag, tu chantais déjà ?

Absolument pas !

J’ai longtemps fait du drag classique dans un premier temps à la Mama Roma en faisant du playback sur certaines chansons pendant 3 ou 4 ans. J’en faisais déjà quand j’avais 15-16 ans. Puis, j’ai été engagé à la Mamma jusqu’à mes 21 ans.

Ensuite, j’ai arrêté tout ça. J’ai étudié la photographie et me suis lancé dans divers projets photo où je n’ai pris en photos que des drags. Après ça, j’ai fait de la réalisation et de la mise en scène - toujours dans le monde du drag. Et enfin, je me suis dit que j’avais envie de me faire plaisir et j’ai commencé à faire ce que je fais aujourd’hui - à savoir chanter, raconter des histoires, tester d’autres choses en somme.

Comment as-tu été attiré par ce monde du spectacle et du drag ?

La première fois que j’ai vu une drag, c’était à La Brique. Cependant, la première fois que j’ai vu un spectacle, c’était à la Mama Roma… j’avais 15 ans. A l’époque, j’étais en humanités artistiques où j’apprenais le théâtre. Et donc, j’ai vu pour la première fois Marie-Rose Clapette qui était une travelotte d’un certain âge, qui enlevait son dentier et le mettait sur la table devant son steak et qui nous disait “débrouillez-vous tous les deux maintenant”. Et je me suis dit: “ok, c’est ça que je veux faire”; car c’était littéralement le truc le plus punk que j’avais vu de ma vie.

Mais du coup, que représente l’art du drag pour toi ?

Pour moi, c’est le seul truc que j’arrive à faire correctement, le seul truc où je ne suis pas mal à l’aise. Je suis très mal à l’aise quand je suis en public et que je ne suis pas maquillée, si je n’ai pas le masque “Peggy Lee Cooper”. Tu mets en civil devant trois personnes que je ne connais pas, je vais paniquer. Par contre, en drag, devant 20 000 personnes, je n’aurai aucun problème à prendre la parole et faire un show. Pour moi, c’est une façon de canaliser beaucoup d’énergie que je ne sais pas mettre en place dans la vie de tous les jours.

Du coup, est-ce que Peggy Lee Cooper est complètement différente de ta personnalité de tous les jours ?

Oui et non. Disons que c’est une partie de moi que je ne mets pas dans le mois de tous les jours.

Un truc que je disais toujours quand je donnais cours, c’était: “plus ton personnage sera aux antipodes de ta personnalité, moins il aura tes restrictions, tes frustrations, tes inquiétudes etc”.

Puis, ça représente aussi un bagage culturel énorme. Quand on échange avec différents artistes, même à travers d’autres continents, cela crée des liens.

Comment est née Peggy Lee Cooper ? Pourquoi avoir choisi ce nom de scène ?

Les ¾ du temps, tu choisis rarement ton nom de drag. On te l’assigne, on te baptise et ça reste.

A mes débuts, certaines mauvaises gueules voulaient m’appeler “La Cochonou” à cause de mon nez.

J’ai su dévier le tir de “Cochonou” à “Peggy”, comme la cochonne du Muppet Show, ma référence ABSOLUE en matière de spectacle musical. La troupe de la Mama s’est empressée d’y ajouter “Lee Guili” pour faire ce jeu de mot bien pouet-pouet : Peggy Lee Guili. Quand j’ai fait carrière solo, j’ai changé ça en Peggy Lee Cooper, compression de Peggy Lee et de Lee Cooper, comme les jeans. C’est pas mieux niveau jeu de mots, mais ça sonne plus classe.

Qu’est-ce qui te fait continuer ? Qu’est-ce qui te motive chaque jour à continuer cette activité ?

Pour moi, ce qui me motive, c’est la nouveauté. On me propose toujours des choses nouvelles à faire, et ça me motive à toujours me dépasser.

Par exemple, je suis la première drag à avoir eu son spectacle solo au théâtre national. Et c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé faire. C’est fabuleux. Tu te dis que ça commence à enfin être reconnu et visibilisé.

Puis, t’as un côté militant qui est hyper intéressant car je joue rarement devant un public LGBTQI+. Du coup, tu éveilles les consciences et tu secoues la norme à travers tes spectacles. C’est un aspect super important de ce métier. Et c’est là que cela devient intéressant.

Puis tout simplement… j’adore ce métier. Le fait d’avoir dû arrêter pendant 8 mois à cause du COVID, je l’ai super mal vécu.

Tout à l’heure, tu m’as repris sur le terme “drag” en disant que tu te voyais plus comme une "travelotte". Tu fais une distinction nette entre les deux termes ?

Oui, c’est comme faire une distinction entre le métal et le punk, tu vois ? Comme je suis vieille, j’ai connu l’époque où ce mot anglosaxon ne figurait pas du tout dans le vocabulaire belge. Je vois ce terme comme quelque chose qui est plutôt apparu dans les années 90.

C’est vraiment avec la mode des Drag Queens, qui est arrivée dans le milieu des années 90, que ce terme a pris plus de place dans le vocabulaire. C’est aussi un monde qui était différent du mien, ça représentait toutes ces créatures qui débarquaient de l’entourage de Susanne Bartsch à New-York. C’était un tout autre univers. La démarche était différente aussi. Pour nous, c’était une esthétique beaucoup plus américaine, avec une culture musicale différente.

Alors que maintenant, le terme “drag”, ça englobe vraiment toutes ces personnes qui font du cross-dressing. C’est devenu un terme parapluie qui n’englobe pas seulement les drag queens.

Du coup, oui, dans ma tête, je fais une petite distinction car le mot drag est devenu un terme beaucoup plus générique.

On voit que le drag devient de plus en plus mainstream grâce à des émissions comme Rupaul’s Drag Race, comment tu vois ça ?

Je trouve que c’est une belle opportunité pour donner de la visibilité à l’art du drag, et ça a permis de faire connaître cet art à un très grand public.

Après, je suis beaucoup trop punk pour apprécier tout l’aspect mercantile qu’il y a derrière. Cette émission est une machine à pognon et les queens ne sont pas toujours bien traitées. Il y avait une vidéo d’une avocate qui décortiquait les contrats des queens, et c’est juste affligeant. Elles sont parfois liées à la boîte de production pendant des années et ça les empêchent de signer d’autres deals etc. A côté de ça, elles sont payées 500 dollars par épisode où elles apparaissent alors qu’elles font des prêts de milliers de dollars pour arriver avec des costumes qui les démarqueront. C’est inouïe comme démarche.

Puis ce côté “soyons bitchy et méchantes entre nous” qui est fort présent dans la communauté drag et montré à l’outrance dans l’émission… ça m’énerve.

Comment vois-tu l’avenir du drag ?

Je pense que ça s’annonce bien. Cet art évolue constamment, et je vois tellement de gens qui sortent de leur zone de confort et osent faire d’autres choses au travers du prisme du drag, et c’est beau, c’est intéressant. On repousse toujours nos limites un peu plus loin.

Le Drag commence enfin à pouvoir sortir de son carcan et proposer autre chose, on n’est plus obligé de rester dans une tradition qui voudrait qu’une drag n’a pour seule voix que celle de son playback, on a enfin plus d’options qui s’ouvrent à nous.

Puis, on voit que ça devient de plus en plus reconnu dans beaucoup de pays. On est sollicité pour apparaître dans des grandes salles, au théâtre ou à l’opéra par exemple. Et cette évolution donne beaucoup d’espoir pour cette forme d’art.


Retour