En cette fin d’année, à deux semaines d’intervalle, sont sortis deux reportages sur les thématiques qui nous défendons : « Entre deux sexes », diffusé sur Arte à propos des personnes intersexes, et « Etre fille ou garçon : le dilemme des transgenres », diffusé sur M6. L’occasion pour Arc-en-ciel Wallonie de faire le point sur la représentation des personnes trans* et intersexes dans les médias en 2017. Compte-rendu de Cailean Dangreau, stagiaire à Arc-en-Ciel Wallonie.
Bande-annonce : https://www.facebook.com/legangdesinters/videos/1781356465488744/
« J’ai compris que j’étais autre chose. Autre chose qui n’existe pas, parce que ce qui ne se dit pas n’existe pas. » Vincent Guillot, personne intersexe.
« Boy? Girl? Monster? », Ins A Kromminga, artiste allemand et personne intersexe.
Deux portraits. Deux personnes qui racontent qui elles sont, dans leur parcours et dans leur quotidien.
On est de suite plongé-e-s dans le cœur du sujet avec la mention de l’échelle de Prader. Cette échelle est destinée à définir la forme des organes génitaux. Le 0 représente ce que l’on considère comme femelle. Le 6 représente ce que l’on considère comme mâle. Entre les deux, de 0 à 5, ce sont les personnes intersexes. L’inacceptable dans note société, que l’on opère pour ressembler, le plus souvent, à des 0.
L’aberration, soulignée par Vincent Guillot, c’est que l’on crée des vagins artificiels et pénétrables, alors que pour les autres enfants [enfants dyadiques, non intersexes], c’est sacré, on n’y touche pas avant la puberté. De plus, comment se fait-il que les enfants opérés ne le sachent pas et doivent l’apprendre par surprise, ou après maintes recherches ?
La volonté des personnes concernées, dans une idée militante, c’est que l’Etat soit mis face à ses responsabilités, face aux morts produits par la médecine, en les comptabilisant. Nombreuses sont les personnes intersexes qui se suicident.
L’intersexuation n’est pas toujours visible à la naissance, contrairement aux idées reçues. Ça a été le cas de Ins A Kromminga. Assigné fille à la naissance, il a attendu que sa poitrine se développe et que ses menstruations se présentent durant toute son adolescence. L’institution médicale lui a présenté sa situation comme une maladie de laquelle on allait le soigner, en l’opérant et lui faisant prendre des hormones à vie. Pris dans les filets de la médecine, Ins n’est pas parvenu à s’en extraire.
« Je ne m’identifie ni comme homme ni comme femme, pour moi ça n’a aucun sens ». Ins s’identifie comme herm [je ne sais pas si cela fait référence au terme dont parle Anne Fausto-Sterling (2013) dans son ouvrage Les cinq sexes : Pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, qui décrit les personnes herms que des personnes nées avec un testicule et un ovaire]. Pour lui, cette identification est avant tout stratégique : « c’est l’espace de liberté dans lequel j’essaie de vivre, mais qui n’existe pas encore ».
Pour Vincent, son enfance se résume à des passages à l’hôpital : « Tu arrives en bonne santé et tu repars en mauvaise santé, et à chaque fois c’est comme ça. » Il s’en souvient comme si c’était hier : « on ne dit rien, y’ pas de mots… quarante-trois ans après, c’est toujours douloureux. » Pourtant, dans son carnet de santé, c’est le néant : à part les vaccins, il n’y a aucune trace de ses séjours à l’hôpital. Il a la sensation d’avoir été dressé vers le garçon au moyen de la testostérone.
La médecine parle du consortium Désordre du Développement Sexuel (DSD-consortium).
« Si vous ne vous soignez pas, vous aller finir dans un cirque. » C’est ce que les médecins ont dit à Ins, lorsqu’il a souhaité arrêter la prise d’hormones. Cela lui a fait penser au film Freaks : avant, les personnes intersexes étaient exclues et n’avaient pas d’autres choix que de travailler dans un cirque (freak show) pour subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui, les personnes intersexes peuvent être intégrer à la normalité… au dépend de leur intégrité physique.
Dans le même ordre d’idées, Vincent revendique sa monstruosité. Monstrare fait référence à celui qui montre. Pour lui, il a véritablement ce rôle d’exclu de la société, qui doit montrer ce qui dysfonctionne dans la société. Ins partage cette idée : « c’est à nous de nous affirmer, sinon on reste dans un discours hétéronormativé. » Il fait ici référence à l’idée que l’intersexuation est l’hermaphrodisme, est une personne née avec « une queue et des nichons ».
On fait une mention à l’instabilité dans le monde du travail : « Quand t’es déclassé, que t’as pas un corps conforme à ce que l’entreprise attend (…) et ce mal être psychique produit par la médecine. Au moins une santé mentale fragile donc tu vas bouger parce que tu ne seras jamais bien là où tu es. »
On parle aussi de relations de couple. Vincent avait dit à son compagnon de vie de ne pas s’accrocher, qu’il était jeune. Durant le documentaire, il se marie. Un mariage queer, inclusif, on retrouve des personnes intersexes, transgenres, sourdes, neuroatypiques… Le mariage, c’est aussi avec confrontation avec l’hétéronormativité : des formalités, la mention d’un couple « de même sexe ».
Parler des personnes intersexes, c’est également parler du Dr John Money et de son expérience avec Bruce, renommé Brenda pour être élevé comme une fille après avoir remodeler ses organes génitaux. Il voulait prouver que le sexe est un apprentissage social. Il a été suivi par de nombreux-ses chirugien-ne-s, qui opéraient des pénis en clitoris dès qu’ils étaient accidentés ou différents de ce qu’iels estimaient être des pénis normaux. Quand Bruce a compris, il a arrêté les œstrogènes, signifiant l’échec de l’expérience… Mais Money n’en a jamais fait part. Bruce et son frère jumeau se sont suicidés. Et la machine médicale était en marche.
Vincent dénonce : « On aurait dû tout arrêter. On a su rendre 0 intersexes heureux. Mais on continue depuis plus de 70 ans à les opérer. » Ins fait un parallèle avec le fait qu’en recherche, on a considéré que la longueur des doigts influençait l’orientation sexuelle. De ce fait, des personnes ont été opérées pour ne pas qu’elles soient homosexuelles ou transgenres.
« Quand j’étais enfant et que je voulais rencontrer d’autres inter, on me disait « non, tu es le seul comme ça. » Quand Vincent a découvert le mot « intersexes », ça a été la révélation pour lui. Il a fait la connaissance d’autres personnes concernées, il a découvert le plaisir et la banalité de rencontres. De là est venue son idée d’organiser des vacances avec des personnes intersexes du monde entier.
Lors de ces vacances, il discute avec une personne médecin sur l’accès aux soins de santé des personnes intersexes. « Ils ne répondent jamais à nos besoins. » C’est toujours centré sur l’intersexuation et la nécessité d’agir à ce niveau. Les personnes intersexes sont exclues du système de santé, de l’accès aux soins, puisqu’on ne les écoute pas et que l’on tente de les faire rentrer dans un moule : homme ou femme.
Une personne, durant ces vacances, souligne l’importance de la prise de conscience : « Les médecins doivent se rendre compte du mal qu’ils font » et ajoute « peut-être qu’ils se suicideraient après. »
Se rassembler, c’est également évoquer la possibilité d’une réparation par la Justice : porter plainte ? Contre qui ? Dans quel but ? On peut attaquer les médecins directement ou les hôpitaux qui représentent l’Etat. Une des personnes présente évoque la possibilité d’une indemnisation financière pour palier à l’insécurité financière causée par l’instabilité dans le monde du travail. D’autres parlent de rendre compte d’un problème social. Vincent signale : « On nous a déjà détruit, mais il faut quand même faire attention. » Malgré tout, une autre personne parle de son besoin d’agir : « J’ai envie d’être fièr-e de quelque chose une fois dans ma vie » et ajoute : « Si c’est de l’ordre de la performance, je le ferais. Ils veulent me voir à poil ? Ils l’auront. »
Le documentaire se termine par une métaphore lors d’une balade en forêt. Il existe un chemin caché qui permet d’accéder au champ et d’en sortir. C’est un pont, un entre-deux. Un endroit où la nature reprend ses droits, un endroit oublié, un endroit dont on ne doit pas parler, qui n’existe pas et pourtant qui existe. C’est le tiers sexuel auquel on ne pense pas, auquel on ne veut pas penser, qui n’est jamais nommé et dont les intersexes font partie.
En 2013, le rapporteur de l’ONU sur la torture a recommandé l’abrogation des lois permettant les traitements de normalisation génitale pratiqués sans le consentement libre et éclairé des personnes concernées.
À ce jour, seul l’Etat de Malte a suivi cette recommandation.
L’atout principal de ce documentaire, c’est la parole laissée aux concerné-e-s. Les intersexuations sont présentées par le biais de portraits, sans interventions journalistiques, sans musique larmoyante.
On suit principalement Vincent Guillot et Ins A Kromminga dans leur quotidien et dans la diversité de rencontres, de parcours et vie. Leur point commun, c’est la volonté de parler des intersexuations.
Bien sûr, l’accent est rapidement mis sur les organes génitaux et sur le fait d’être vu-e-s comme des monstres quand on est intersexué-e-s. Après tout, c’est bien de ça qu’il est question : à partir d’organes génitaux jugés non conformes par la société, on mutile des enfants (ou plus tard) et tente de les faire rencontrer dans un moule.
Mais parler des organes génitaux, c’est également, et pour beaucoup, l’occasion de parler d’intégrité physique, d’autodétermination, de consentement libre et éclairé. Vincent le dit lui-même à un moment du documentaire : « Qu’est-ce que ça peut faire aux médecins qu’on vive avec un gros clitoris ou un petit pénis ? Pensez-y. »
La souffrance est évoquée explicitement à deux moments du reportage : lorsque l’on interroge Vincent sur le monde du travail, mais en précisant bien qu’il s’agit sans doute principalement d’une production de la médecine, qui fragile les personnes intersexes, et lorsque deux personnes discutent en vacances de cette souffrance, qui signifie qu’au moins, elles ressentent quelque chose. Le reste du temps, la souffrance est plus implicite, exprimée à travers les récits, des expériences. J’ai trouvé que c’était montré, dit avec beaucoup de pudeur.
Je n’ai vu, à aucun moment, de dérapage sur la sexualité. On parle du couple de Vincent, mais sur leur rencontre, leur mariage et leur vision du mariage. Je note les peurs de Vincent, au début de cette relation : j’ai eu la sensation qu’il se représentait lui-même comme un fardeau pour son compagnon, du fait d’être rejeté, un monstre pour la société.
En dehors de la médicalisation et de la souffrance, j’ai la sensation qu’on parle beaucoup de leur vie au sens large. On centre beaucoup sur le travail artistique de Ins. On centre beaucoup sur la vie à la campagne de Vincent, décrit comme un havre de paix par son fils. Là également, pas d’intrusion dans la vie privée : on ne sait pas dans quel contexte et de quelle façon est né cet enfant (aujourd’hui adulte). Après tout, les personnes intersexes ont déjà trop été violées dans leur intimité.
Ce documentaire, c’est une vision militante, celle des personnes qui témoignent. Le symbole le plus parlant de ce militantisme, c’est la participation à la pride, avec des slogans qui dénoncent les mutilations et appellent à l’autodétermination et un discours public. Mais le militantisme est également international, rassemblant notamment des personnes du monde entier lors de vacances. Pour vivre heureux-ses, iels parlent notamment de réappropriation de leur corps, qui passe par le fait de se reconnaître dans le mot intersexe, de se rencontrer. Mais également, parfois, par les tentatives de suicide. Serait-ce trop sensationnel de dire que la tentative de suicide est une tentative de suicide est également une forme de visibilisation des violences subies ?
Finalement, malgré la prise de conscience qui va crescendo, le dramatisme n’est pas présent. Le seul malaise provient des détails qui font réaliser de l’horreur vécue et exprimée avec pudeur. Les moments les plus intimes sont exprimés par des dessins, qui sont également les seuls moments où une musique est présente, comme pour attirer l’attention. On y montre ce que les médecins font aux enfants inter. On se rend compte. On prend conscience.
Bande-annonce : http://www.programme-tv.net/videos/bandes-annonces/110845-etre-fille-ou-garcon-le-dilemme-des-transgenres/
J’ai longtemps hésité avant de regarder ce reportage, puis j’ai pris conscience que je ne pouvais pas passer à côté, que je ne pouvais pas rester silencieux·se. Une visibilisation des personnes transgenres, oui, mais pas n’importe comment.
L’appréhension dominait au lancement du générique. Muni·e d’un bloc de feuilles et d’un stylo à bille, j’étais prêt·e à en noter les failles. Bientôt, je me suis aperçu·e que faire un compte rendu point par point me serait impossible : à moins de dix minutes du reportage, j’avais déjà compris qu’il y aurait trop à dire pour être exhaustif·ve. Mais, en fin de compte, j’avais tellement appréhendé le visionnage que j’ai beaucoup ri. Un peu jaune, un peu rouge, mais j’ai ri.
En même temps, vu le titre, la couleur était donnée : Etre fille ou garçon, le dilemme des transgenres. D’emblée, les personnes non binaires sont exclues. D’emblée, on revoit se profiler l’idée du choix et de la souffrance vécus par les personnes transgenres. Alors non, toujours pas. Au moins soulignera-t-on l’emploi du mot transgenre, qui supplante la dénomination psychiatrique.
Revenons-en à l’idée de transition qu’évoque ce terme. Remplacer le mot sexe pour former l’expression changer de genre, plutôt que changer de sexe, non, ça ne fonctionne pas non plus. Les personnes transgenres ne changent pas de genre. Ce sont des personnes qui ne se définissent pas à travers le genre qui leur a été assigné à la naissance. Les transitions possibles ne sont pas de l’ordre du genre, mais de la façon dont on se présente en société et, éventuellement, de l’ordre du physique, par le biais de prises d’hormones et/ou d’opérations modifiant l’appareil génital. Le plus drôle, c’est que cette définition, iels l’avaient : elle a été donnée par Laura, une des personnes témoins qui tient la chaîne YouTube Laura Badler. Et iels en ont diffusé l’extrait.
En fait, l’entièreté de ce reportage se résume par un problème de vocabulaire et cette incapacité à distinguer l’identité de genre des transitions qui y sont relatives (ou pas, d’ailleurs). L’identité de genre, elle, ne change pas. Arnaud le dit : « Je n’ai jamais été une fille ».
Le reportage tourne toujours autour du parcours médical, de la prise d’hormones et des opérations chirurgicales et de sa difficulté, comme si c’était un passage obligatoire et que la difficulté du parcours était légitime. Toutes les personnes transgenres n’en ressentent pas le besoin. D’ailleurs, Laura le dit elle-même. Elle n’a pas l’intention d’avoir recours à la vaginoplastie, elle a une bite de femme. Son compagnon, Maxime, ajoute : « Pousser à l’opération comme le but ultime, c’est ridicule. » Avec ou sans transition médicale, on n’en est pas moins homme, femme ou non binaire. L’important, c’est de trouver et d’atteindre sa propre zone de confort, c’est-à-dire une harmonie avec soi-même.
Alors oui, à côté de cela, il y a quand même des éléments intéressants. Comme le fait de parler de coming out aux ami·e·s, à la famille, à l’école, au travail. Le fait de parler des difficultés par rapport aux papiers, qui ne reflètent pas l’expression de genre, ou par rapport aux démarches administratives pour modifier les prénoms et la mention M ou F. On mentionne également l’importance d’Internet pour se questionner et trouver du soutien, l’importance de l’appui parental. Mais il y a également des choses intolérables.
Mentionner le prénom de naissance des personnes concernées, c’est un manque de respect total. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’un adolescent, qui risque de subir du harcèlement scolaire. Oui, les mots sont durs, mais on oublie que le danger est là. Le pire, encore une fois, c’est que le risque, iels le connaissaient : iels parlent du taux du suicide plus élevé chez les personnes transgenres, mais iels ne se rendent pas compte qu’iels y participent.
Le problème, c’est cette société hétéronormée, qui réduit des réalités à de la binarité arbitrairement choisie. Le mal être des personnes transgenres, il vient de là. Et, encore une fois, le plus drôle, c’est que la réponse se trouvait sous leurs yeux, dans les premières minutes du reportage, de la bouche d’Arnaud : « Dans sa tête [celle de son père], les trans sont des gens qui souffrent. Il ne voulait pas que je souffre, donc il m’a fait souffrir. »
Alors oui, comme le souligne Laura dans sa vidéo Ma participation à Zone Interdite (M6), il y a une évolution, on sort quand même du pathos. Mais mon opinion se rapproche davantage de celle d’Alistair de la chaîne YouTube H Paradoxæ : l’ensemble du reportage renvoie un manque d’informations considérable et, comme d’habitude, on n’écoute pas les personnes concernées qui, elles, ont vraiment des propos très intéressants qui méritaient d’être mieux entendus.
Quelques bijoux dans les paroles de concerné·e·s :
Le visionnage de ces deux reportages laisse un avis mitigé. La représentation des personnes intersexes est engagée, respectueuse et inclusive, tandis que la représentation des personnes transgenres est sensationnelle, trompeuse, réduite. Mais vu les émissions concernées, devons-nous réellement en être étonné·e·s ?
Mon conseil, pour une information plus proche des réalités vécues, est tout simplement de chercher du côté des personnes concernées ou des associations (Genres Pluriels étant la plus importante en Belgique). À notre époque, YouTube regorge de chaînes LGBTIQ+. De nombreux·ses artistes queer se font également connaître. Citons, entre autres : Guymauve (BD), Assignée garçon (BD), Princ(ess)e LGBT (YouTube), H Paradoxæ (YouTube).