Kévin Lavoie s’implique dans les milieux LGBT québécois depuis une dizaine d’années. Intervenant communautaire et chercheur en sciences sociales, il enseigne un cours sur la diversité sexuelle et de genre à l’Université du Québec en Outaouais. Dans le cadre de ses études graduées en travail social, il a mené une recherche sur les représentations sociales de la violence entre partenaires gays en Communauté française de Belgique, laquelle a été publiée en 2014.
Par l’entremise d’un appel à témoins, Kévin avait rencontré douze personnes, soit six hommes gays et six salariés d’associations vouées à la diversité sexuelle lors d'entrevues individuelles partagées entre Namur, Liège et Bruxelles. Ce mardi 18 octobre, il est venu nous présenter le résultat de son travail intitulé : « Parce que l’amour n’est pas toujours gai : briser le silence dans notre communauté ».
Le workshop commence sur un constat paradoxal. Alors que l'associatif LGBT reste une porte d'entrée pour les gays victimes de violence conjugale, l'offre spécialisée y est peu représentée. Les objectifs de cet atelier sont donc accueillis avec le plus grand intérêt par les participants. Au cour de cet après-midi, il sera question de prendre conscience des mythes, des préjugés et des stéréotypes associés à la violence entre partenaires gays, d'identifier les formes et les manifestations de violence conjugale dans les relations intimes entre hommes, de mieux comprendre les défis rencontrés dans leur processus de demande d’aide, et de réfléchir aux interventions à mettre en place pour répondre adéquatement aux besoins des hommes gays.
Dans un premier temps, il s'agit de différencier la dispute de couple et la violence conjugale. Ce tableau issu de la présentation – lequel a été inspiré d’un document produit par le Regroupement québécois des maisons pour femmes victimes de violence conjugale - vous aidera à discerner l'un de l'autre sans lasser la moindre place au doute. Il en ressort que les notions de pouvoir et de contrôle sont des signes flagrant de violence conjugale.
"Pour l’homme gay, on ne va pas penser aux problèmes de violence dans le couple. On va penser aux problèmes liés à l’homophobie. La violence conjugale, ça concerne les hétéros, pas les gays." (Intervenant anonyme)
Lorsqu'on parle de violence, l'imagine du coup de poing dans la figure nous saute aux yeux. Nous aurions tort de penser qu'il s'agit là de l'unique forme de violence qui existe. Aux violences physiques s'ajoutent les violences verbales (éclats de voix, cris, injures), psychologiques (mépris, humiliation, dénigrement), sexuelles (pratiques sexuelles non désirées, viol), économiques (contrôle des revenus et des dépenses), mais aussi ce qu'on l'on qualifie de « violences homophobes ».
Si dans le couple, il y a un gars qui est plus féminin, plus stéréotypé dans la voix, les attitudes, les vêtements, du coup la violence peut être plus facile de la part du partenaire parce que c’est un peu de l’homophobie. Je ne sais si ça a du sens ce que je dis. Il y aurait donc une violence excusée : « je te corrige parce que t’es quand même rien qu’une petite tapette. Je t’aime, il faudrait que tu changes ». (intervenant anonyme)
Les violences homophobes se déclinent, elles aussi, de plusieurs façons. Que ce soit par des insultes à caractères homophobes, des menaces d'outing de l'orientation sexuelle ou du statut sérologique du partenaire, ou encore un rôle sexuel imposé. La violence touche à l'estime de soi, et l'homophobie est une des voies qui le permet, même au sein des couples gays.
Le rôle des associations est de briser ce cycle, dans un premier temps, en nommant le problème. La violence conjugale est le troisième problème rencontré par les couples gays, après le VIH ou les addictions. Parmi les gays, 39% ont été confrontés à la violence conjugale au cours des cinq dernières années, et 18% ont fait face à plusieurs formes de violence.
La prise de conscience chez la victime est primordiale pour briser le cycle. Si les victimes ne mettent pas un terme à une relation abusive, il y a plusieurs raisons. Le pouvoir de l'un engendre de la dépendance chez l'autre. Mais il y a aussi l'amour, qui malgré la violence, peut être sincère et réel. Cet amour est une porte d'entrée. Il est important de montrer à la personne qu'on la croit, que sa relation a probablement aussi de bons côtés et ce qu'il ressent pour son partenaire est vrai. Critiquer d'emblée une relation ne fera que repousser une victime dans le mutisme.
La plupart du temps, la réaction est la même : pourquoi restent-ils ensemble? Pourquoi il accepte ça? On ne comprend pas qu’on puisse infliger ça. On sait bien que l’amour ne vaut pas tout, qu’on ne peut pas tout changer par amour. À un moment donné, quand on arrive à ce niveau-là de relation violente avec des coups, c’est un point de non retour. C’est plutôt ça la réaction : qu’ils se séparent. (intervenant anonyme)
Si la violence conjugale chez les gays est un sujet tabou, cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas. Au contraire, qu'une problématique soit si difficilement abordée témoigne bien souvent d'une réalité inquiétante. Un des moyens de briser le silence est de s'en prendre aux mythes et aux stéréotypes qui gravitent autour de la thématique.
En voici quelques-uns :
Si nous n'avons pas toujours toutes les réponses, l'écoute étant une première étape, il nous est possible de rediriger la personne vers des professionnels qualifiés. Les associations LGBT tiennent des fichiers avec des acteurs psycho-médico-sociaux de référence. Il est important de tenir ces fichiers à jour et que l'associatif et les secteurs d'aide aux personnes collaborent afin que leur personnel soit correctement formé aux différents enjeux et contextes rencontrés par la population LGBT.
Dans un monde de bisounours, les deux collaboreraient, parce que chacun apporte leurs expériences et leurs expertises. Ça concerne les deux. La base serait les associations de violence conjugale, parce qu’elles ont la structure et la façon de fonctionner. Mais avec des gens, personnel ou bénévoles, qui ont été sensibilisés par les associations LGBT ou des gens des associations qui participeraient à certaines discussions. Il faut vraiment un enrichissement entre les deux, pour éviter ce qu’il arrive souvent, cette concurrence terrible et complètement stupide qui est du gaspillage de ressources. Chaque association a son propre réseau et pourrait faire circuler les infos, et par là pourrait toucher un plus grand nombre de personnes. Par ricochet, le maillage serait plus développé si les deux se mettaient ensemble. Le pire serait évidemment que chaque secteur fasse ses trucs dans son coin. Ça, ça serait totalement risible. (intervenant anonyme)