Le Gouvernement semble bien avoir pris conscience de l'ampleur des agressions dont sont victimes les gais, les lesbiennes, les bisexuel-le-s et les transgenres.
Elio di Rupo a invité ce 10 mai 2012 une délégation d'Arc-en-Ciel Wallonie à sa résidence du Lambermont pour débattre des politiques de lutte contre l'homophobie. Il était entouré de la Ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, et de la Ministre de l'Intérieur et de l'Égalité des chances, Joëlle Milquet. La Maison Arc-en-Ciel de Bruxelles et çavaria avaient également rejoint la table, ainsi que le député flamand Jan Roegiers et quelques autres cosignataires d'une lettre ouverte sur les agressions homophobes en Flandre.
Le Premier Ministre avait réagi immédiatement au meurtre d'Ihsane Jarfi survenu le 22 avril et dont le corps a été retrouvé le 1er mai. Il faut agir ! avait-il posté sur Twitter.
La réunion de travail dont il a pris l'initiative est d'abord un geste politique fort, par lequel Elio di Rupo veut montrer sa détermination. Chargées par lui de soumettre des propositions coordonnées entre les départements de la Justice et de la Police, Annemie Turtelboom et Joëlle Milquet se sont également engagées à travailler rapidement sur ce chantier.
Si plusieurs agressions à caractère homophobe ont fait l'attention des médias ces derniers mois à Bruxelles, Anvers, Leuven et à Liège à propos du meurtre d'Ihsane Jarfi, il reste que l'on sait fort peu de choses sur la gravité réelle du problème. Les agressions sont fréquentes sur les lieux publics de rencontres gaies ou à proximité de certains clubs homosexuels. Mais parce que justement il s'agit de lieux de drague, les victimes portent rarement plainte. Allez raconter ça à la police ! Beaucoup n'y songent même pas. Plus largement, il y a un sous rapportage de tous les actes en matière de délit sexuel, indique la Ministre de la Justice. Résultat, les statistiques sont particulièrement basses et ne donnent pas une idée exacte de la situation.
Les agressions dont il a été question plus récemment ont par contre eu lieu dans des lieux publics ordinaires. C'est déjà un obstacle de moins pour faire appel à la police.
Mais d'autres réticences surgissent. La peur de n'être pas bien accueilli au commissariat. Il y a une réelle évolution à ce niveau mais les associations recueillent toujours des témoignages montrant que ce n'est pas encore le cas partout, loin s'en faut. Michiel Vanackere explique : lorsqu'un policier pose 10 fois la question : vous êtes sûr qu'il s'agit d'une agression homophobe parce que dans ce cas nous devons le signaler et c'est extrêmement grave, alors à la dixième fois vous n'êtes plus tout à fait sûr.
Enfin, à supposer que tous ces obstacles soient franchis, la plainte sera transmise au parquet. Mais dans la majorité des cas, les parquets classent ses dossiers sans suite, faute d'insuffisance de preuves explique la Ministre Milquet.
Au bout du compte, l'impression se renforce que porter plainte est inutile.
C'est donc toute la chaine qu'il faut revoir conclut Thierry Delaval, la loi existe depuis 2003, ça fait 10 ans que ça ne fonctionne pas !
Les deux Ministres se sont déjà concertées, nous assurent-elles, pour élaborer une nouvelle circulaire commune police-justice pour améliorer l'ensemble du traitement des plaintes. Annemie Turtelboom a aussi chargé le Procureur du Roi de Liège d'inviter Arc-en-Ciel à une réunion de travail afin, dossiers à l'appui, d'expliquer les difficultés du parquet lorsque les preuves sont insuffisantes. L'objectif est d'arriver à une information correcte sur les bons réflexes à avoir lors d'une agression, comme par exemple demander le témoignage des personnes éventuelles qui auraient assisté à la scène. Il faut aussi concevoir des campagnes de sensibilisation pour le public afin de dépasser la peur de porter plainte. Annemie Turtelboom envisage de s'inspirer de l'expérience des Pays-Bas où un site internet permet de signaler de manière anonyme un délit homophobe ou de porter plainte. Dans le premier cas, il n'y aura pas d'enquête mais cela permet de mieux connaître et recenser les crimes homophobes. Dans le cas d'une plainte, l'anonymat n'est pas possible mais plutôt que de devoir se rendre à la police, c'est la police qui contacte le plaignant. Le site assure que l'enquêteur est particulièrement formé dans le domaine des discriminations, ce qui devrait assurer les victimes d'avoir affaire à quelqu'un d'attentif qui ne les sous-estimera pas.
Les peines pour les agressions homophobes et racistes seront aussi alourdies. Par ailleurs, Joëlle Milquet a assuré que les formations des policiers et magistrats seront poursuivies et renforcées et qu'une personne de référence serait désignée au sein de la police fédérale. Elio di Rupo soutient ces projets mais s'inquiète : ne faudrait-il pas désigner de tels policiers de référence dans les différentes zones ? La question sera étudiée. Enfin signalons qu'un projet de loi va être rapidement déposé concernant l'élargissement des sanctions administratives. En clair, il s'agirait de pouvoir verbaliser sans intervention de la justice les "incivilités" dans les lieux publics, comme les injures, intimidations ou comportements menaçants.
Les principes de Jogjakarta, c'est un ensemble de recommandations à tous les États membres des Nations Unies qui spécifient comment les droits humains reconnus au niveau international trouvent à s'appliquer aux questions liées à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre. Bien qu'ils n'aient pas de caractère contraignant (les États ne sont pas obligés d'y souscrire) ils ont acquis une valeur de référence, rappelée par les associations LGBT lors de la réunion. Annemie Turtelboom indique que leur transposition dans le droit belge est en cours mais qu'il reste quelques difficultés.
La loi n'organise pas seulement les plaintes et les sanctions. Elle prévoit la prévention, la sensibilisation, des organes de soutien que sont le Centre pour l'Égalité des chances et la Lutte contre le Racisme et l'Institut pour l'Égalité des Femmes et des Hommes, compétent en matière de transphobie. Elle doit être évaluée durant l'année 2012. Joëlle Milquet, avec sa casquette de Ministre de l'Égalité de chances, assure qu'une note organisant l'évaluation sera soumise au Gouvernement dans une quinzaine de jours.
Les associations ont rappelé la demande formulée lors de la formation du gouvernement qu'une stratégie globale de lutte contre l'homophobie et la transphobie soit mise sur pied. Il y a des éléments dans votre programme de gouvernement, mais tout est fort éparse et segmenté. Il faut une vision globale remarque Thierry Delaval. La Ministre de l'Intérieur le reconnait mais assure que la volonté du Gouvernement est d'aller dans ce sens. Elle travaillera avec les associations à qui elle fixe rendez-vous à la mi-juin.
Aux yeux d'Arc-en-Ciel Wallonie, les agressions ne sont que la pointe émergée de l'iceberg. L'homophobie existe partout, y compris dans d'autres services publics. Le Ministère de la Santé en est un exemple en plus de la magistrature. Mais c'est aussi vrai dans la recherche scientifique et dans l'enseignement. Pour Thierry Delaval, tout se passe comme si on ne voulait pas admettre que l'homosexualité n'est ni une maladie, ni même une anomalie. Il y a pourtant plus de 20 ans qu'elle a été retirée de la liste des maladies mentales de l'OMS ! Jan Roegiers pointe aussi l'attitude négative des religions. C'est pourquoi nous encourageons à associer les départements de la Santé et de l'Inclusion sociale ainsi que les Communautés. Le Premier Ministre demande à Arc-en-Ciel Wallonie de lui fournir une note sur ces aspects, que nous lui ferons parvenir dans les prochains jours. Par rapport à l'enseignement, n'étant pas dans les compétences fédérales, il appelle à une coordination avec les Communautés.
Le Premier Ministre soulève pour finir le phénomène inquiétant de la propagation de la haine et de l'agressivité sur internet. Il engage les deux ministres à réfléchir là-dessus. La question est délicate, reconnaît-il, mais il faut absolument faire quelque chose.