« Ne nous regarde pas pendant que l’on se change, sale gouine ! ». Violences verbales, violences physiques, harcèlement, invisibilisation, propositions déplacées (nourries par le porno) de la part des hommes hétéros cisgenres. La lesbophobie expliquée par trois personnes concernées…
En 1998, des militantes française ont employé le terme « lesbophobie » pour désigner l’hostilité vécue et expérimentée par les femmes lesbiennes, souvent oubliées des militant-e-s LGBTQI+ [1]. A l’époque, elles soulignaient que les femmes, tout autant que les gays, étaient confrontées à des violences (insultes, intimidations, discriminations, agressions physiques,…) qui peuvent aller jusqu’au meurtre. Elles pointaient du doigt que ces agressions n’étaient pas vues comme des agressions homophobes, car elles étaient des femmes. Par conséquent, elles étaient perçues comme étant uniquement des agressions sexistes.
Ces militantes souhaitaient poser une différence claire entre l’homophobie et la lesbophobie. En effet, elles reprochaient au terme ‘homophobie” de posséder une fausse neutralité, et que, implicitement, cette acception n’était en réalité qu’un synonyme de gayphobie - et donc uniquement dirigé envers la communauté gay masculine.
Dans cette optique, elles ont forgé une définition qui désigne une forme bien spécifique d’homophobie, et qui répond à l’équation suivante Lesbophobie = Homophobie + Sexisme, ce qui revient à dire que les femmes homosexuelles (ou les femmes ayant des comportements perçus comme lesbiens) sont susceptibles d’être confrontées à deux marginalisations sociales: l’une liée au fait d’être une femme, et l’autre liée au fait d’avoir des relations sexuelles et affectives avec une autre femme.
La Belgique n’est pas en reste concernant ces expériences de lesbophobie. Prenons l’exemple très récent de cette jeune fille de 22 ans, Lou, qui a été agressée violemment, à Bruxelles en septembre dernier, après avoir embrassé une amie. Malgré l’absence d’études sur ce sujet en Belgique, nous pouvons constater que la lesbophobie est un phénomène très présent. Le manque de statistiques sur le sujet vient renforcer ce sentiment d’invisibilisation dont souffre la communauté lesbienne.
A titre d’exemple, en France, selon une étude menée et publiée en 2008 par Nadine Cadiou, Sylvie Gras et Nathalie K. appelée Enquête sur la lesbophobie, l’expérience de lesbophobie s’avère être très courante dans la vie des lesbiennes. Près de deux répondantes sur trois déclarent avoir vécu au moins un épisode lesbophobe au cours de leur vie et se traduisent dans tous les champs de leur vie (aussi bien privé que professionnel). Bien que nous regrettions le manque de données statistiques et d’enquêtes sur ce phénomène qui viendraient corroborer les retours du terrain, nul-le ne peut nier le fait que ce phénomène est présent et ronge la communauté [2].
Camille, Maaike et Stéphanie ont accepté de se livrer sur ce phénomène. A travers leurs trois témoignages, nous avons l’opportunité de mettre des mots sur cette problématique bien présente dans la communauté lesbienne.
Camille, 22 ans, étudiante en langues et littérature.
“Je suis incapable de quantifier le nombre de comportements qui m’ont mise mal à l’aise ou où je me suis sentie particulièrement sale. Et je trouve que c’est un mot assez fort… se sentir sale. Mais finalement sale de quoi ? D’être à l’aise avec sexualité ? De juste me balader main dans la main avec ma copine ? Ce n’est pas un sentiment agréable, surtout quand je suis juste “moi”.
Pour moi, la lesbophobie prend plusieurs formes. Il y a des formes intériorisées et parfois normalisées comme ces femmes hétérosexuelles qui seront mal à l’aise face à toi car elles pensent que tu vas les draguer (parce que oui, nous sommes toutes des animaux en quête de chair fraîche). Il y a aussi des formes beaucoup plus violentes qui vous laissent un goût amer dans la bouche quand cela vous arrive comme les insultes et (pour les moins veinardes) les violences physiques. Et ce sont celles que je l’ai plus expérimenté dans ma vie.
J’étais dans une école secondaire assez huppée où la vie privée des gens était un concept mais pas une réalité. Tout le monde était au courant de la vie des autres. C’était assez vicieux, et j’avais parfois l’impression de me retrouver dans une mauvaise série américaine. Quand j’étais en rhéto, deux filles avaient créé un faux compte Instagram et m’avaient piégée. L’unique but ? Me outer auprès de toute l’école. Ma dernière année a été un vrai enfer pour moi. C’était des bousculades dans les couloirs, ou encore des “ne nous regarde pas pendant qu’on se change, sale gouine” lors des cours de gym, etc.
J’ai expliqué ma situation aux éducateur-rices et à la direction, et on n’a jamais rien fait pour me protéger de tout ça. A un moment, une éducatrice m’a même dit : “ta sexualité te regarde, il ne fallait pas le dire à tout le monde” ! Comme si je l’avais choisi… Heureusement, j’avais ma bande d’ami-e-s qui m’ont aidée à surmonter cette dernière année.
Ce qui m’avait le plus blessé, c’est la différence de traitement entre un élève gay et moi. Il était aussi harcelé par certains camarades, et il y a eu toute une procédure pour punir les élèves. C’est là que je me suis rendu compte pour la première fois que la lesbophobie était moins prise au sérieux. Est-ce que c’était à cause du fait que je sois une fille ? Je n’en sais rien. Cependant, ça m’a mis profondément en colère que mes agressions verbales dont j’étais victime n’étaient pas punies par l’autorité scolaire.
Selon moi, pour lutter contre la lesbophobie, il faut déjà rendre plus visible la communauté lesbienne de manière générale. Il suffit de regarder la communauté LGBTQI dans son ensemble… Je ne dis ça sans haine envers la communauté gay masculine, mais tout est construit pour eux. Où sont les bars pour les lesbiennes ? Les espaces safe, aussi bien privés que médicaux ? Les femmes lesbiennes n’existent pas ou peu dans l’espace public, et c’est dérangeant.
Il faut que nous prenions place dans l’espace public, que nous soyons plus représentées dans les médias, et qu’on ne se laisse plus faire. Si on commençait par ça, nos luttes seraient beaucoup plus visibles, et donc les violences dont nous sommes victimes le seront aussi”.
Maaike, 24 ans, travaille dans le milieu de l’automobile.
“Pour moi, la lesbophobie prend plusieurs formes et est caractérisée par le rejet des femmes qui aiment d’autres femmes. Mais celle que j’ai le plus vécue est une lesbophobie verbale.
La première fois était à l’école, en sixième secondaire, un garçon avait appris que j’étais lesbienne et s’est dit que c’était une chouette idée de crier “sale lesbienne” dans les couloirs.
Mais celle qui me l’a plus marquée s’est déroulée il y a deux ans. Nous avions décidé d’aller au restaurant avec mon ex copine. Et nous sommes allées dans un restaurant asiatique. La gérante nous avait vues, mais assez bizarrement personne ne venait à notre table pour prendre notre commande. A notre gauche se trouvait un couple néerlandophone. Le mari a fait signe à la gérante pour signaler qu’on n’avait pas été servies. La gérante pensait que nous ne parlions pas néerlandais puisque nous parlions français entre nous. Et donc, elle a répondu au couple à côté de nous, en néerlandais “ce sont des lesbiennes et je ne veux pas les servir”. C’est assez violent.
Il y avait aussi la fois où j’avais embrassé ma copine en rue et des mecs mimaient la masturbation en nous regardant. Et c’est un réel problème, car, dans l’imaginaire de beaucoup de personnes, l’image que l’on a des lesbiennes se fait à travers de la pornographie. Les lesbiennes sont souvent sexualisées à l’outrance et de manière complètement inappropriée.
Mais la lesbophobie se trouve aussi au sein même de nos communautés. Il y a un énorme travail à faire.
Selon moi, il devrait y avoir beaucoup plus de campagnes de sensibilisation sur toutes ces questions afin que l’on se rende compte des réalités de la communauté lesbienne, et que l’on montre les problèmes que l’on vit au quotidien.
Stéphanie, 31 ans.
“J’ai connu différentes formes de lesbophobie. Cela peut être de la “peur” d’une collègue qui se sent observée par une autre collègue lesbienne dans les vestiaires ou des remarques du genre: “si tu n’as jamais essayé les hommes, comment sais-tu que tu es lesbienne?”
La fois la plus marquante où j’ai été victime de lesbophobie était ma première fois chez une gynécologue. Je pensais qu’en me rendant chez une femme, cheffe du service gynécologique de surcroit, je tomberais sur une femme qui connait son métier et qui n’aurait aucun préjugés sur ma sexualité. Je me suis évidemment trompée. Pour cette femme, je n’avais pas besoin de faire des tests gynécologiques, à l’exception de la palpation des seins. Elle me garantissait que je ne risquais pas d’avoir de MST ni même d’autres problèmes, car “il n’y a pas de pénétrations, vous ne risquez donc rien”.
Après avoir discuté avec des amies, je me suis allé voir une autre gynécologue qui m’a assuré que c'était hyper important de faire les mêmes tests qu’une femme hétérosexuelle, et qu’elle n’était pas étonné de la réaction de l’autre gynécologue qui avait cette réputation.
Ce qu’il nous manque, ce sont des vraies représentations. Il faudrait aussi changer les mentalités, mais surtout changer cette notion de normalité qui veut qu’une femme soit avec un homme. Pourquoi une femme ne pourrait pas aimer et être heureuse avec une autre femme ? On pourra insérer autant de personnes LGBTQI dans les séries et dans les films, ça ne changera rien. Il faut traiter le problème à la racine !
Selon moi, il faudrait plus parler de nos problématiques. Quand j’étais plus jeune, j’avais des difficultés à dire que je fréquentais une femme. C’était principalement à cause des mentalités de certaines personnes, et ce même au sein de ma propre famille. C’est encore quelque chose de tabou. Et je pense que cela ne devrait plus exister en 2020. On devrait être libre d’aimer qui on veut.”
Ces trois témoignages illustrent malheureusement la lesbophobie en Belgique à l’heure actuelle. Nier son existence – ou minimiser ce phénomène – revient à ignorer et à invisibiliser toute une partie de la communauté. Ces agressions et ces violences rongent notre société. En outre, force est de constater que le manque d’études sur ce sujet, en Belgique, et même ailleurs, prouve à nouveau que la lesbophobie est un pan souvent oublié et délaissé.
Cela nous rappelle, une fois encore, que nos luttes sont loin d’être gagnées et que le travail de sensibilisation (que ce soit en dehors ou à l’intérieur de nos communautés) et de lutte contre les discriminations à l’égard des lesbiennes est encore – et plus que jamais - nécessaire.
[1][2] Arc, S. & Vellozzo, P. (2012). Rendre visible la lesbophobie. Nouvelles Questions Féministes, vol. 31(1), 12-26. https://doi.org/10.3917/nqf.311.0012