Lutte contre le VIH : il faut poursuivre l’effort

Le nombre de nouvelles infections au VIH baisse en Belgique mais le niveau de dépistage ne progresse pas. Il faut poursuivre les efforts dans notre pays pour atteindre l'objectif ambitieux d'ONUSIDA : éradiquer l'épidémie d'ici 2030.

Chaque année à la même époque l’Institut Scientifique de Santé Publique (ISP) publie les statistiques épidémiologiques du vih et du sida.

Le rapport vih 2014 a été rendu public le 26 novembre. La presse a aussitôt relayé les principaux éléments. En particulier, le nombre de nouveaux diagnostics positifs connaît, pour la deuxième année, une diminution significative. Avec 1039 nouveaux cas de séropositifs diagnostiqués en 2014, la baisse par rapport à 2013 est de 8%. Et pour la première fois, la baisse concerne aussi les homosexuels (ou pour être plus précis les infections transmises par un rapport sexuel entre hommes – le groupe dit des HSH). Cette diminution est assez spectaculaire puisqu’elle est de 21% par rapport à 2013. L’ISP rappelle toutefois qu’elle intervient après près de quinze ans de forte augmentation.

Ce résultat est donc encourageant, mais encore loin d’être satisfaisant. La Belgique reste dans le peloton de tête européen des pays présentant un haut niveau d’incidence du vih. Pour que la baisse se confirme dans les prochaines années, il faut poursuivre les efforts. La vigilance doit rester l’affaire de touTEs. L’usage du préservatif reste bien évidemment à promouvoir. Mais il faut entrer dans une stratégie de prévention combinée, alliant pour chacun d’entre nous protection et dépistage régulier, et au besoin le recours au traitement post exposition. Au-delà de la vigilance individuelle, beaucoup de progrès restent conditionnés à des mesures publiques. Mais lesquelles ?

Continuer à améliorer le suivi épidémiologique

J’ai suffisamment critiqué par le passé la médiocre qualité du rapport annuel sur le vih de l’ISP pour ne pas reconnaître un changement significatif particulièrement visible cette année. Demandée par Arc-en-Ciel Wallonie, l’amélioration des statistiques et de leur exploitation était aussi un des objectifs du plan national de lutte contre le vih 2014-2019. Il faut se féliciter à ce sujet car le rapport est cette année d’une qualité remarquablement supérieure. Plus transparent (même si la tentation de cacher les faiblesses relatives à la récolte de données de base reste encore présente), mais surtout bien plus complet. On découvre ainsi pour la première fois une analyse fouillée relative à la prévalence (le nombre de personnes en vie vivant avec le vih), aux diagnostics tardifs, aux diagnostics précoces, au dépistage et à la résistance à certains traitements.

En fait, suite au plan national et aux options définies au niveau européen, le rapport témoigne de l’intention de la Belgique d’être en mesure d’évaluer sa situation par rapport à l’objectif 90-90-90 proclamé par l’ONUSIDA. De quoi s’agit-il ?

L’année dernière, l’ONUSIDA a proposé un objectif ambitieux : mettre fin à l’épidémie du sida d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif elle a défini une stratégie qu’elle appelle tous les États à mettre en œuvre d’ici 2020 : faire en sorte que :

  • A l’horizon 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique.  
  • A l’horizon 2020, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement antirétroviral durable.  
  • A l’horizon 2020, 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée.

Une autre manière de présenter ces objectifs est illustrée par le graphique suivant, reproduit au départ du rapport du Centre Européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) relatif à la mise en œuvre de la déclaration de Dublin sur le continuum de soins pour le VIH.

Il est donc important de pouvoir établir en Belgique où on en est par rapport à ces objectifs. On n’y est pas encore, mais l’ISP semble travailler dans la bonne direction. La première démarche est de pouvoir évaluer le nombre de personnes infectées mais qui l’ignorent. Un protocole complexe d’évaluation statistique a été élaboré qui doit encore être systématisé dans notre pays. L’ISP révèle en effet qu’elle n’a pas pu intégrer cette analyse dans son rapport bien qu’elle estime que ce chiffre, comme en France, se situe aux environs de 20%. Par contre elle en a fait une estimation pour le groupe cible spécifique des HSH. Il y aurait en Belgique environ 6.550 personnes HSH séropositives dont 900 ignorent leur séropositivité. Autrement dit, pour ce groupe spécifique, on estime que 86% d’entre eux connaissent leur statut sérologique. Proche donc de l’objectif des 90%. Mais on sait aussi que le taux de dépistage dans ce groupe est nettement plus élevé que dans les autres groupes spécifiques et dans la population en général.

Cette première donnée n’étant pas disponible pour la population générale, difficile de savoir exactement où on en est dans le reste du continuum. L’ISP affirme que « Le continuum de soins pour le VIH en Belgique présente peu de perte à chacun de ses stades ». Selon le rapport, il y avait en 2014 14.719 personnes infectées par le vih suivies médicalement, dont 63% sont des HSH. 89,4% d’entre elles étaient sous traitement antirétroviral en 2013 (derniers chiffres connus). Enfin, une étude sur les données de 2011 renseigne que 69,5% des personnes diagnostiquées ont une charge virale indétectable. C’est encore loin des objectifs, mais sur ces bases partielles le Docteur D. Van Beckhoven, de l'ISP, estimait dans sa communication au Symposium Breach du 27 novembre qu'on peut estimer (estimation qui doit encore être améliorée, qu'en Belgique environ 60% des personnes avec le vih ont une charge virale indétectable et ne sont donc (quasiment) plus susceptibles de transmettre le virus.

Améliorer et diversifier l’offre de dépistage

Il faut donc se contenter de cette estimation floue pour l’instant. Mais elle est suffisante pour constater, comme le fait l’ISP, que le dépistage des personnes ignorant leur séropositivité est une priorité majeure en Belgique.Aux États-Unis, ont estime effectivement que 91% des nouvelles infections sont le fait des personnes ignorant leur séropositivité (30% des nouvelles infections) ou de celles qui, bien que diagnostiquées, ne sont pas sous traitement (60%). Or le nombre de personnes séropositives non traitées médicalement aux USA est proportionnellement bien plus élevé que chez nous.

Et d’en conclure que « La diversification des offres de dépistage proposées sera primordiale afin de permettre d’atteindre les personnes infectées de manière très précoce dans l’évolution de leur infection, mais aussi d’atteindre les personnes qui ne rentrent pas dans les circuits classiques de dépistage et sont par conséquent diagnostiquées trop tardivement. »

Il est donc terriblement important d’assurer la poursuite des initiatives pilotes de dépistage décentralisé et démidécalisé, et de les généraliser en adaptant le cadre légal. L’ordre des médecins et le Parlement fédéral (dans un projet de résolution encore en débat) plaident dans ce sens. Et le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) ne dit rien d’autre dans son avis rédigé sur ce sujet en juillet 2015, ce qui nécessite la mise en place de formations, d’un dispositif centralisé de contrôle et de pratiques d’accompagnement, mais aussi la modification d’un arrêté royal qui pour l’heure interdit que des actes médicaux (le dépistage en est un) soient effectués par d’autres que des professionnels de la santé.

On attend donc maintenant une initiative de la Ministre de la Santé Maggie De Block. Peu encline à modifier la législation, elle a toutefois assuré la semaine dernière qu’elle était maintenant disposée à suivre l’avis du CSS, mais que la modification de la loi n’interviendrait pas avant la mi-2016 (d’après Le Soir du 26 novembre).

De plus, un imbroglio pointe méchamment son nez. Les politiques de prévention sont transférées aux régions par la 6e réforme de l’État. Maggie De Block estime donc que le financement ne doit plus provenir de l’INAMI. Les régions renâclent car les moyens financiers attachés à cette politique n’ont quant à eux pas été transférés. Bref le risque est grand de ne pas débloquer la situation avant longtemps !

Adapter les règles de remboursement INAMI pour un démarrage rapide de la mise sous traitement antirétroviral

Pour atteindre un meilleur taux de personnes vivant avec une charge virale indétectable, la Belgique doit encore se conformer aux recommandations de l’OMS qui préconise la mise sous traitement antirétroviral dès après le diagnostic. Mais le remboursement INAMI n’intervient actuellement que pour patients qui ont un taux de lymphocytes CD4 sous le seuil de 350 CD4/mm3.

L’INAMI a été saisie mais il se dit qu’en cette période de disette budgétaire, cette demande pourrait ne pas être prioritaire. En contradiction flagrante avec les recommandations internationales !


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