Mariage homo en Belgique : il y a 10 ans, qui a voté quoi et pourquoi ?

En Belgique, le 30 janvier 2003, à 14h15, s'ouvrait une séance plénière de la Chambre un peu particulière. Ce jour là, nos édiles allaient débattre de divers sujets : système de vote électronique, sécurité lors des matches de football, mise à la retraite des policiers communaux,… mais aussi et surtout, du projet de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil.

10 ans plus tard, presque jour pour jour, c'est au tour du parlement français de se pencher sur cette question. Avec les crispations politiques et sociales que l'on sait.

Mais que s'est-il passé chez nous en 2003 (mariage) et en 2006 (adoption) ? Nos parlementaires ont-ils voté à l'unisson ces lois ? Qu'ont dit nos élus du mariage et de l'adoption pour les couples de même sexe ? Thierry Giet, Charles Michel, Muriel Gerkens, Melchior Wathelet étaient là. Ils ont voté. Arc-en-Ciel Wallonie vous propose, le temps de deux articles (un consacré au mariage, l'autre à l'adoption), de revenir sur les positions qu'ils et elles ont tenues, sur les votes des partis politiques, les avis du Conseil d'état,… pour le meilleur et pour le pire.

Ce qu'il y a de bien en démocratie, c'est (notamment) le greffier. Grâce à lui, tout est consigné, soigneusement : compte rendu des séances plénières, rapports des commissions, interventions des experts, amendements, avis,… tout est à portée de clic.

Commençons donc notre voyage dans le temps. Nous sommes en 2001. Le Gouvernement Verhofstadt 1er est en place depuis deux ans. C'est un gouvernement arc-en-ciel (ça ne s'invente pas) : les bleus, les rouges et les verts sont au pouvoir. Le texte du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe est déjà en gestation chez des parlementaires flamands, mais c'est Marc Verwilghen (VLD, Ministre de la Justice) qui déposera le projet de loi le 28 mai 2002.

Tout semble joué donc puisque le texte est proposé par la majorité. Et pourtant, deux éléments viennent perturber le jeu politique.

D'abord, le Conseil d'Etat remet un avis défavorable sur le texte proposé. Celui-ci estimera que seules les unions hétérosexuelles sont de nature à donner naissance à des enfants. Elles ont davantage besoin de stabilité et ont une utilité sociale différente des unions homosexuelles.

D'aucuns estimeront que le Conseil d'Etat a outrepassé ses missions en invoquant des arguments de type idéologique. Cet avis restera pour beaucoup un acte manqué d'une institution pourtant garante du bon fonctionnement démocratique.

Second élément perturbateur, la famille libérale francophone (MR) a demandé que le mariage homo soit considéré comme un sujet éthique. Conséquence, le groupe n'imposera pas de consigne de vote à ses mandataires. La famille dispose de 18 sièges. Sans eux, la majorité est réduite à 76 sièges sur 150. C'est une très courte majorité.

Le jeudi 30 janvier 2003, les débats vont principalement tourner autour de deux conceptions du mariage radicalement différentes. Les anti-mariage homo défendront la vision du mariage ayant pour finalité la procréation. Les pro-mariage homo défendront la vision du mariage ayant pour finalité la création d'une communauté de vie durable. Avec quelques variations qui ne manquent pas d'intérêt.

Le premier à ouvrir le feu contre le projet de loi sera le cdH. Joseph Arens, le chef de groupe des sociaux chrétiens francophones, expliquera qu'il existe une différence entre une union hétérosexuelle et une union homosexuelle. Cette différence, intimement liée à la complémentarité des sexes, justifie une différence de traitement qui permet à la loi de réserver le mariage aux personnes de sexe différent. Il plaidera pour une amélioration de la cohabitation légale (votée en 1998).

Sur les 6 parlementaires du groupe cdH présents ce jour-là (sur 10), 2 voteront contre, 4 s'abstiendront. Richard Fournaux et Jean-Pierre Grafé, deux homosexuels notoires, seront de ceux qui s'abstiennent. Joëlle Milquet arrivera quelques instants à peine après le vote.

La surprise viendra du groupe des sociaux chrétiens flamands. Le MR étant divisé sur la question, le texte a été négocié au préalable avec le CD&V. Le groupe votera majoritairement en faveur du projet de loi car celui-ci ne prévoit ni la filiation, ni l'adoption pour les couples de même sexe. C'est ce qu'applaudira Servais Verherstraeten, chef de groupe du CD&V : Ce projet de loi n'a pas de conséquences sur la filiation et l'adoption, ce dont je me félicite, car dans le cas contraire, la loi s'écarterait trop de la réalité biologique. Le parti justifiera sa position en rappelant qu'il a toujours été favorable aux relations durables.

Seul Tony Van Parys s'exprimera farouchement contre le texte lors des commissions. Il dira : On abandonne l'acception qui a été donnée depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures, au mariage. Selon cette acception, le mariage vise à la survie du groupe, à la transmission de la vie et à la création de nouvelles relations familiales.

Sur les 20 parlementaires du groupe CD&V présents ce jour-là (sur 22), 17 voteront pour le projet de loi et 3 s'abstiendront. Pieter De Crem et Yves Leterme voteront pour. Herman Van Rompuy et Tony Van Parys s'abstiendront.

La famille libérale flamande votera presqu'unanimement en faveur du projet de loi. Unanimité moins une voix. Celle de Jef Valkeniers, qui s'abstiendra. Le début de son intervention rappellera celle des sociaux chrétiens. Mais se terminera par un beau pied de nez : Personnellement, je suis un partisan de l'adoption. La vie en couple prend aujourd'hui des formes tellement variées qu'il n'y a aucune raison de penser qu'un couple homosexuel élèverait plus mal un enfant qu'un autre. […] Je m'oppose donc au mariage des homosexuels mais je préconise de leur ouvrir les portes de l'adoption. Cet homme de 71 ans n'aura jamais l'occasion de confirmer son intention. Il ne sera plus au parlement lors du vote de la loi sur l'adoption.

Loin de la presqu'unanimité du VLD, les libéraux francophones sont divisés. On l'a vu, sur les matières éthiques, chaque parlementaire s'exprime librement. Daniel Bacquelaine, votera en faveur du texte mais rappellera que le MR exprime des réserves quant à l'accès à l'adoption par des couples homosexuels. Olivier Maingain (le FDF fait toujours partie du MR) ne dira pas autre chose lorsqu'il qualifiera l'avis du Conseil d'Etat de thèse qui revient à dire que l'institution juridique est dictée non par la volonté des hommes mais par la loi de la nature. Il votera pour.

Sur les 14 parlementaires du groupe MR présents ce jour-là, 6 voteront pour le projet de loi et 8 voteront contre. Anne Barzin et Philippe Seghin seront de ceux qui s'opposent au projet de loi.

Les socialistes et écologistes, francophones et flamands, seront les plus fervents défenseurs du projet de loi dans l'hémicycle. Karine Lalieux (PS) et Zoé Genot (ECOLO) reviendront longuement sur les principes de non-discrimination, sur l'avis du Conseil d'Etat et sur les opportunités futures d'ouvrir l'adoption, la filiation et la reconnaissance aux couples de même sexe.

La position de Thierry Giet, l'actuel président du parti socialiste, détonnera quelque peu. On peut lire dans le rapport de la commission qu'il s'étonne et est, dans une certaine mesure, déçu que la communauté homosexuelle, ou du moins une grande partie de celle-ci, aspire à ce que l'institution du mariage lui soit aussi ouverte. Le "mariage" est en effet un concept du passé, datant de l'époque où il n'était pas possible de vivre avec une autre personne en dehors du mariage. Le mariage a depuis toujours une connotation religieuse ou patrimoniale. L'intervenant aurait pensé qu'une communauté qui est discriminée depuis si longtemps n'opterait pas pour une institution […] qui est considérée comme l'une des pierres angulaires de cette même société qui a si longtemps pratiqué la discrimination à son égard. [… mais] il est un fait que si les couples homosexuels veulent avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels sur le plan social, fiscal, successoral et autres, ils doivent recourir à l'institution du mariage. Il votera pour.

Les 53 parlementaires des PS, SP.A et Agalev-ECOLO voteront en faveur du texte proposé.

Parmi les autres partis, le Vlaams Blok s'opposera unanimement à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. La Volksunie s'exprimera en faveur du texte à l'unanimité moins une abstention.

A 18h13, la séance est levée. Le vote aura lieu lors de la séance suivante, en soirée. Le projet de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil sera adopté par 91 voix pour, 22 contre et 9 abstention.

Herman de Croo demandera au public présent ce jour-là de ne pas applaudir quel que soit le résultat du vote. Ils applaudiront donc sans bruit, dans le langage des signes.

Trois ans plus tard, une assemblée renouvelée sera amenée à s'exprimer sur l'adoption par les couples de même sexe. Mais ça, c'est une autre histoire. Celle de Charles Michel et Muriel Gerkens notamment.

Votes nominatifs en séance plénière de la Chambre

sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, Belgique, 2003

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