Depuis le début du confinement dans le monde, les violences basées sur le genre ont considérablement augmenté. Au Maroc, en absence de chiffres officiels, c’est la liberté d’expression de genre qui est en péril cette fois. Un jeune artiste de 21 ans a été placé en garde à vue à Sidi Kacem après avoir essayé de porter plainte pour diffamation, discrimination et menaces de mort suite à la publication d’une vidéo de lui sur la toile.
La vidéo a été enregistrée d’un live de « l’influenceu.s.e » controversé.e Sofia Taloni, le 6 avril. Cette dernière, trouvant sans doute son attitude et son look pas assez virils, a incité ses followers à violer le jeune, avant de revenir sur ses paroles et de s’excuser. Trop tard !
Nhaila est un jeune de 21 ans de la ville de Sidi Kacem. Il est étudiant en art. Jeune ambitieux, talentueux et plein d’énergie, féru de théâtre, son amour pour l’art lui a permis d’évoluer, tant bien que mal, dans cette petite ville, où tout espace pour la jeunesse est presque inexistant. Quand je l’ai eu au téléphone, je m’attendais à entendre un jeune brisé, triste, traumatisé par l’injustice qu’il a subie. Mais c’est une personne affable, courageuse et optimiste qui m’a répondu. J’ai échangé avec un jeune qui m’a parlé d’art, d’engagement, de son admiration pour Kabaret Chikhat et pour l’artivisme. Il m’a aussi parlé du rôle important de sa ville natale dans son éducation artistique et son inspiration. Cette ville que cette même sinistre influenceuse, impliquée dans une affaire d’outing des jeunes présumés homosexuels, attaquait.
Tout en assumant son passage avec l’influenceuse controversée le 6 avril 2020 dans un live sur Instagram, Nhaila m’explique qu’il l’a fait pour défendre la ville de Sidi Kacem face aux accusations véhiculées par Taloni. « Elle faisait passer tous les jeunes de cette ville pour des zoophiles et des pervers sexuels, en limitant la grande histoire de la ville à une affaire de zoophilie qui a eu lieu il y a quelques années… J’ai beaucoup d’amour pour ma ville natale, qui a donné naissance à des artistes et à des femmes et hommes respectables, la défendre m’était une évidence. » Mais le drame de Nhaila ne s’est pas arrêté à cette campagne, car ce dernier, a été arrêté en voulant porter plainte pour diffamation, discrimination et menace de mort. L’objet de son supposé délit : non respect du confinement obligatoire et atteinte à un agent de police ! Nhaila s’est vu confisquer son téléphone, qu’il utilise pour assister à ses cours au temps du Corona. « Je tenais à assister à ce cours d’art dramatique que j’avais à 10 heures », explique-t-il. Au lieu d’être chez lui en train d’étudier et travailler ses projets artistiques, il s’est retrouvé en geôle pendant 48 heures, pour la première fois de sa vie, dans un univers qui lui était étranger.
Quel crime avait donc commis ce jeune homme ? Ne pas ressembler à l’image à laquelle une société bien pensante voudrait qu’on se conforme ? Un pantalon un brin trop serré, des cheveux en bataille, un bracelet aux chevilles font-ils de Nhaila un dangereux criminel ?
À ce stade de l’affaire, des questions primordiales s’imposent. Peut-on accuser une personne de non respect du confinement quand celle-ci se déplace en urgence au poste de police pour porter plainte contre une menace de mort, quand il n’existe aucun outil de plainte à distance adapté aux temps de Corona ? En quoi est-il attentatoire de vouloir revendiquer ses droits les plus fondamentaux, dont le droit à la liberté corporelle ?
Ailleurs dans le monde, les jeunes artistes comme Nhaila sont le futur, l’espoir et la chance de sociétés qui optent pour un développement durable et humaniste. Aujourd’hui, soutenir cet artiste militant, c’est soutenir la liberté d’expression de genre. La liberté d’expression tout court, et la liberté de disposer de son corps. Nous refusons que dans le Maroc de 2020, porter un khelkhal (bracelet traditionnel), avoir des cheveux en bataille et un piercing soient un crime. Nous le répèterons autant qu’il le faudra : une génération Queer, passionnée d’art et de culture, de liberté, est en route. Ne pas la voir venir est un déni. La réprimer est un crime contre la jeunesse.
Un jeune comme Nhaila ne mérite que notre considération pour avoir eu le courage de porter plainte contre une injustice basée sur l’expression de genre dans un pays qui continue à appliquer des lois liberticides et post-coloniales. Cette plainte vient, il faut le préciser, après plusieurs tentatives de conciliation avec les administrateurs des groupes sur Facebook qui l’attaquaient. Nhaila était en droit de demander, d’exiger la protection de la police. Il a eu le courage de le faire, alors que d’autres, beaucoup d’autres, vivent de véritables drames, culpabilisent et pour certains, se donnent la mort. Pour éviter que d’autres Nhaila ne se retrouvent dans des situations aussi surréalistes, pour que d’autres jeunes puissent avoir le droit de vivre, pour que cesse cette macabre chasse aux sorcières, une seule option : jeter aux oubliettes les lois liberticides et criminaliser les violences basées sur le genre et la sexualité. Le jeune Nhaila sera jugé le 30 juin 2020. Espérons qu’il sera acquitté.