Procès de Mbaye Wade : "Ce jugement va faire avancer la jurisprudence"

Unia

Anne Salmon, Unia, a recueilli les propos de Martin Fortez · Juriste chez Unia - Centre interfédéral pour l'égalité des chances et gestionnaire du dossier de Mbaye Wade.

Pour quelle raison Unia a-t-il décidé de se constituer partie civile dans ce dossier ?

Martin Fortez : Nous avons été informés de ce dossier suite à la médiatisation des faits. Avec l’accord de la famille de Mbaye, nous avons décidé de nous constituer partie civile car nous estimions qu’il y avait des circonstances aggravantes d’homophobie et de racisme et nous voulions qu’elles soient reconnues. Cela permet d’alourdir la peine. Des crimes comme celui de Mbaye Wade, ou celui d’Ihsane Jarfi il y a 10 ans déjà, doivent être gravement punis. Ils touchent non seulement les victimes et leurs proches, mais ils marquent aussi toute une société, et en particulier les personnes de la même orientation sexuelle ou de la même origine. C’est intolérable et insupportable.

Etes-vous satisfaits du verdict ?

M. F. : Nous sommes soulagés que les circonstances aggravantes d’homophobie et de racisme aient été retenues. Le profil de l’auteur était assez particulier car il avait lui-même des relations avec des hommes. La cour a écouté les experts à la barre et a tenu compte de la possibilité qu’un acte homophobe soit commis par une personne ayant elle-même des relations homosexuelles non assumées. C’est un phénomène peu connu que l’on appelle l’homophobie intériorisée (voir autre article). Ce jugement va faire avancer la jurisprudence. Mais n’oublions pas que l’on parle ici de faits extrêmement graves, ayant entraîné le décès d’une personne. Difficile de se réjouir dans ces circonstances.

En parlant de faits graves, les médias ont relaté plusieurs agressions de personnes homosexuelles ces derniers mois. Est-ce qu’Unia a constaté une hausse de tels faits ?

M. F. : Oui, en effet, nous avons reçu des signalements. Il s’agit souvent d’agressions en bande envers des hommes ou de pièges tendus via des applications de rencontre. L’année dernière, Unia a observé une augmentation des délits de haine en lien avec l’orientation sexuelle. Nous avons traité 85 dossiers, contre 53 en 2022. Ce chiffre est aussi le plus élevé des 5 dernières années. Proportionnellement, nous enregistrons toujours davantage de délits de haine dans les dossiers liés à l’orientation sexuelle par rapport à nos autres dossiers, avec une proportion plus importante d’agressions physiques.  

Même s’il y a eu de nombreuses avancées législatives et que notre cadre juridique est solide, ce phénomène particulièrement inquiétant doit faire l’objet d’une attention particulière de la part des autorités. Unia a demandé au monde politique un nouveau plan d’action interfédéral contre les discriminations et les violences à l’égard des personnes LGBTQIA+, le dernier étant arrivé à échéance en 2019 déjà ! Il faut que les nouveaux élu·e·s en fassent une priorité.

De nombreuses agressions passent en effet sous les radars…

M. F. : Oui, les signalements que nous recevons ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. On sait aussi que les victimes d’actes homophobes hésitent à se rendre à la police, pour diverses raisons : peur de ne pas être crues, d’être moquées, de devoir révéler leur orientation sexuelle, … Une étude européenne (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne - "LGBTIQ at crossroads - progress and challenges") l’a encore tout récemment confirmé : en Belgique, seules 14% des personnes homosexuelles interrogées qui ont été agressées se sont rendues à la Police !

À cet égard, soulignons le rôle clé des témoins. Des recherches ont démontré que les auteurs de délits de haine passent plus facilement à l’acte lorsqu’ils ont le sentiment que personne ne réagira.

On devrait bientôt avoir une meilleure idée de l’ampleur du phénomène ?

M. F. : En effet, l’encodage des dossiers de discrimination au niveau des services de police et du parquet va être amélioré grâce à l’adaptation d’une circulaire qui est entrée en vigueur en avril dernier. Il est désormais obligatoire d’enregistrer pour chaque fait un phénomène (ex : racisme, homophobie, transphobie, sexisme…), voire un sous-phénomène (ex : afrophobie, antisémitisme, islamophobie…). De cette façon, il sera possible de mesurer leur ampleur de manière beaucoup plus précise. C’est une belle avancée.

Quel conseil donner aux personnes victimes ou témoins d’une agression ?

M. F. : Il faut vraiment signaler les faits et faire établir un PV à la police. Ces personnes peuvent également nous contacter par téléphone au numéro gratuit 0800 12 800 ou via notre formulaire en ligne. Elles peuvent aussi passer par votre intermédiaire, celui de la Fédération Prisme ou de la Rainbow House à Bruxelles puisque nous travaillons ensemble. Nous pourrons les aider dans leurs démarches et leur apporter un soutien psychosocial et juridique. Qu’il s’agisse d’actes de haine liés au racisme, aux convictions religieuses ou philosophiques ou à l’orientation sexuelle, les victimes sont toujours profondément marquées et doivent être prises en charge.

Propos recueillis par Anne Salmon · UNIA

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