En 1999, la Suède interdit à un homme ou à une femme d'acheter du sexe. On peut continuer à vendre du sexe, mais on ne peut plus en acheter. On peut se prostituer, mais on ne peut pas être client.
La loi est adoptée dans la foulée d'un plan d'action visant à lutter contre les violences liées au sexisme, la prostitution étant perçue comme un mode particulier de domination de l'homme sur la femme.
Il faut dire qu'à l'époque, aucune association LGBT n'est consultée. Seule la prostitution féminine est dans le collimateur du gouvernement suédois. On ne parle à aucun moment des hommes, ni des trans.
Les effets de la loi ? Sur la prostitution en elle-même, personne ne le sait vraiment. Un rapport de 2010 pointe une diminution du nombre de prostituées de rue, mais le sexe tarifé ne se cantonne pas aux vitrines et au racolage. La prostitution est multiforme et s'articule autour de relations interpersonnelles qui échappent au recensement et à toute forme de criminalisation. De plus, la démocratisation de l'accès à l'Internet permet, bien plus qu'en 1999, aux prostitué-e-s et aux clients de se rencontrer à l'abri de l'inquisition policière.
Car c'est une des conséquences de la loi. L'allocation des moyens aux services d'ordre pour traquer les clients se fait au détriment des services de prévention et d'accompagnement : éducateurs de rue, accompagnement médical, services sociaux,…
C'est ce que dénonce notamment la RFSL[1] par la voix de sa présidente, Ulrika Westerlund, pour qui la loi rate son objectif. Il n'y a, à ce jour, aucune preuve scientifique de l'efficacité de la criminalisation du client sur l'éradication de la prostitution.
La RFSL a interrogé des hommes, des femmes et des personnes trans qui se prostituent. Les résultats sont clairs, tranche Ulrika Westerlund. Malgré la loi, les travailleur et travailleuses du sexe qui ont répondu n'ont pas de problème à trouver des clients.
La loi aurait donc surtout des effets pervers, notamment celui d'augmenter la précarité de ces hommes et de ces femmes pour qui la prostitution fait partie des rentrées financières. La pression policière joue, à cet égard, un rôle désastreux.
Cette approche du gouvernement suédois, sans solide base scientifique, est également dénoncée par des travailleurs du sexe. L'une d'entre elle, Pye Jacbsson, revient sur les dysfonctionnements de la loi suédoise dans une vidéo postée sur Youtube (en anglais).
La loi s'appuie sur l'idée qu'aucun acte de prostitution n'est volontaire. Et que donc, tous les travailleuses et travailleurs du sexe sont des victimes, explique Pye Jacbsson. Si vous proclamez que vous n'êtes pas une victime, alors on vous dira que vous vous voilez la face (dans le texte : false consciousness), et si vous insistez pour dire que c'est votre choix, alors on vous dira que vous n'êtes pas représentative. Mais en fait, je suis très représentative. J'ai la cinquantaine, je suis suédoise et je travaille à l'intérieur. Une travailleuse du sexe dans la moyenne en somme.
De plus, la loi est floue. Elle condamne la rétribution sous forme d'argent ou de drogue. Or, l'alcool est considéré comme une drogue, continue Pye Jabsson. Donc, grosso modo, toutes les aventures d'un soir à Stockholm pourraient tomber sous le coup de la loi.
Ce paternalisme aux relents de féminisme radical donne une image des femmes qui confine à l'infantilisation.
Bien entendu, la violence faite aux femmes, notamment la traite des êtres humains, doit être combattue. Mais l'arsenal législatif existait déjà pour lutter contre ces réseaux, insiste Ulrika Westerlund de la RFSL. La traite des êtres humains, c'est de l'esclavage. C'est illégal.
La loi suédoise de criminalisation du client est une forme d'instrumentalisation de la violence faite aux femmes à des fins d'hygiénisme social. Et encore une fois, c'est la sexualité qui est au cœur des crispations.
Dans son livre Surveiller et jouir, Gayle Rubin rappelle que notre culture traite le sexe avec suspicion. Le sexe est présumé coupable jusqu'à preuve du contraire. Presque tous les comportements érotiques sont jugés mauvais à moins qu'on invoque une raison particulière de les tolérer. Les excuses les plus acceptées sont le mariage, la reproduction et l'amour.
En Suède, depuis une dizaine d'année, la prostitution fait partie de ce sexe intolérable qu'on ne veut plus voir dans la sphère publique.
Alors, quand vous irez à Stockholm, dans un bar,… n'offrez pas de verre. Certain-e-s pourraient mal l'interpréter.
[1] Riksförbundet för homosexuellas, bisexuellas och transpersoners rättigheter (Fédération suédoise pour les droits des personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres).