Le Centre interfédéral pour l'Egalité des Chances a publié son rapport annuel 2013. Arc-en-Ciel Wallonie en a profité pour interviewer Patrick Charlier, son Directeur adjoint. Et lui poser des questions sur le racisme, les discriminations croisées, le rôle des sciences et des religions et, bien entendu, la situation en Belgique. Entretien.
Patrick Charlier : L'objectif était de faire le focus sur le racisme pour le remettre à l'ordre du jour. Certains avaient pris des positions suggérant que le racisme n'existait plus et que ceux qui se plaignaient de racisme se mettaient dans une position victimaire. Nous, on a voulu dire que le racisme restait une question d'actualité, en Belgique et en Europe. On se souviendra des propos à l'encontre de Christiane Taubira, mais également des bananes lancées à des joueurs de foot. C'est l'expression d'un racisme primaire. Mais on constate également un phénomène de discrimination raciale notamment en matière d'emploi. Le monitoring socio-économique1 a clairement montré que plus on est perçu comme étranger, moins on a de chance d’accéder à un emploi. Et si on a tout de même un emploi, il a plus de chance d’être précaire et moins rémunéré.
On a également voulu aborder, à travers la question du racisme, la question de l’antisémitisme, de l’islamophobie ou les positions à l’encontre des gens du voyage par exemple.
Patrick Charlier : On n’a pas examiné ces phénomènes de façon approfondie. Le Centre s’est surtout penché sur les conceptions culturelles ou religieuses par rapport à l’orientation sexuelle. Ce n’est pas abordé dans le rapport, mais c’est un travail qui est en cours. On sait que dans certaines minorités ethniques ou culturelles, c’est parfois plus compliqué car il y a une moins grande acceptation de l’expression de l’homosexualité. Cela étant, il faut se garder de simplifier et d’imaginer que l’homophobie est le privilège de certaines minorités, c’est quelque chose qui traverse l’ensemble de la société.
Patrick Charlier : J’aurais tendance à suivre les travaux d’Isabelle Stengers en la matière qui montrent que la science n’est pas quelque chose de neutre, d’objectif et que donc le développement des disciplines scientifiques n’est jamais que le reflet d’une société et de ses représentations. Donc je ne crois pas que la discipline scientifique va créer les conditions de l’exclusion de certaines minorités, je pense que c’est la société qui va induire ça. Mais bien sûr, au nom de la biologie, on va penser que les sciences sont neutres, liées à une certaine vérité de la nature, mais je ne suis pas d’accord avec ça. C’est avec ce type de raisonnement qu’on a justifié l’eugénisme et qu’on justifie encore certaines formes d’exclusion ou de discrimination.
On peut avoir exactement la même réflexion sur le droit. On peut croire que le droit est neutre, objectif,… alors qu’il n’est que le résultat de l’évolution d’un rapport de force au sein de la société. Il n’y a pas un droit naturel, objectif ou neutre. C’est la même chose pour les sciences.
Patrick Charlier : En fait, les études de genre ont permis de déconstruire en partie notre vision dichotomique du genre. Le genre n’est pas blanc ou noir, on est dans un spectre. Il y a des représentations sociales extrêmement fortes mais qui ne correspondent pas la réalité vécue et perçue par les hommes, les femmes et les minorités.
Je pense qu’au plan international, c’est extrêmement difficile. Au niveau mondial, il y a deux sujets qui sont extrêmement tendus. D’abord l’orientation sexuelle. On sait que dans de nombreux Etats, l’homosexualité est interdite, la peine de mort existe toujours. Donc je pense que si on veut avancer, il faut d’abord travailler au niveau européen. Ce qui est déjà compliqué, notamment au Conseil de l’Europe. Des pays comme la Russie, la Turquie ou d’autres freinent des quatre fers quand il s’agit des droits fondamentaux relatifs aux minorités sexuelles.
L’ECRI a tout de même vu son mandat élargi sur les questions LGBT, mais on est loin d’un consensus.
Le second sujet qui fait polémique au niveau international, c’est la question de la protection des religions. En Europe, ce type de dispositions pénales a disparu, mais d’autres pays mènent une fronde pour la reconnaissance du blasphème dans le champ des droits fondamentaux.
Patrick Charlier : On est prudent parce que 93 signalements, ce sont uniquement les plaintes reçue par le Centre. On ne peut pas de manière directe en tirer des conclusions sur la situation des discriminations à l’égard des LGBT en Belgique.
Cela étant, il y a une relative stabilité du nombre de signalements reçus qui concernent l’orientation sexuelle. Ces dossiers se retrouvent généralement dans le troisième groupe après les critères raciaux et les critères handicaps et convictions religieuses.
On a constaté sur 2013, une augmentation du nombre d’agressions physiques à l’égard des LGBT et notamment certains commis par des services de police. On a également reçu un certain nombre de signalements relatifs au refus d’acter des plaintes par les services de police.
Ensuite, quand on regarde la répartition des dossiers par secteur, c’est d’abord la vie en société qui pose problème : voisinage, dans la rue, dans les transports en commun,… ça traduit une forme d’intolérance de la société en général par rapport à une homosexualité qui est visible. Ce secteur est une spécificité de l’orientation sexuelle.
C’est un signe important car ça montre le différentiel entre les aspects législatifs et l’acceptation au sein de la société. Il reste un travail de normalisation à faire. Il faut rendre l’homosexualité banale, c’est un des chantiers importants.
Patrick Charlier : Le Centre a publié un baromètre sur l’emploi et sur le logement. Le prochain concernera l’enseignement en 2016. Nous avons pris les contacts préalables avec les parties prenantes du secteur de l’enseignement et plusieurs critères de discrimination ont été retenus sur base de cette réunion préparatoire : la situation économique et sociale, l’origine, le handicap, l’orientation sexuelle et le genre.
1. Monitoring socio-économique 2013 du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale et Centre interfédéral pour l'Egalité des Chances.