VIH, ou le savoir perdu de vue

RTBF

L’Institut Scientifique de Santé Publique (ISP) a publié ce 27 novembre les chiffres de l’infection à VIH et de l'épidémiologie du sida pour 2012. Ce rapport déçoit par son imprécision. Dans le cadre du plan VIH 2014-2019, les outils épidémiologiques doivent être améliorés pour être utile aux politiques de prévention.

Je m’irrite à chaque fois du moment de cette publication, à quelques jours du 1er décembre qui comme on le sait est la journée internationale de lutte contre le sida. Il semble que l’ISP soit plus préoccupé de cette date symbolique que d’assurer un suivi rapide de l’épidémie. Car enfin, 11 mois pour produire une statistique sommes toutes peu compliquée, c’est ce que j’appelle se presser lentement. L’ISP, vigie de l’état de la santé publique dans notre pays, est en quelque sorte fermé durant 300 jours pour cause d’inventaire. Une fenêtre aveugle de près d’un an qui décrédibilise le sentiment d’urgence vis-à-vis de l'épidémie à VIH.

On apprend que 1.227 nouveaux diagnostics d’infection par le VIH ont été donnés en 2012.

Nouveau record a indiqué la presse. Et c’est vrai. Mais c’est court et franchement pauvre comme analyse.

La première impression laissée par ce simple constat est que l’incidence du VIH ne cesse de s’accroître, du moins durant les 15 dernières années. Mais ce n’est pas correct. Le nombre de nouveaux diagnostics ne dépend pas du nombre de nouvelles infections mais davantage du nombre de dépistages. En fait, depuis le début des années 2000, les dépistages réalisés en Belgique ont tendance à croître régulièrement. Si environ 50 tests pour 1.000 habitants se pratiquaient en 2000, il y en a eu 64/1.000 en 2012. En conséquence, le nombre de diagnostics positifs montre une – légère – tendance à la baisse ces dernières années, pour s’établir à 1,74 nouveaux diagnostics positifs par 1.000 tests en 2012.

Parallèlement, le nombre de personnes séropositives augmente chaque année, puisque les décès sont devenus rares depuis l’apparition des antirétroviraux. Depuis le début de l’épidémie, près de 26.000 personnes ont été diagnostiquées positives, dont un nombre inconnu est soit décédé de mort naturelle ou d’une autre cause que le sida, soit ont quitté le territoire belge, soit sont mort des conséquences du sida (l’ISP a recensé 2020 décès dus au sida depuis le début de l’épidémie en 1985). Le solde réel ne peut donc être établi. Il faudrait ajouter la part de la population qui ignore sa séropositivité, faute de se faire dépister. Des estimations sont faites dans beaucoup de pays. Par exemple en France on estime la part de séropositifs ignorants à environ 30%. Mais en Belgique, si une telle modélisation existe, elle n’est pas publiée, du moins pas à ma connaissance. Donc on ne connaît pas avec précision, ni même par une estimation approchante, le nombre de personnes séropositives en Belgique. Mais une chose est certaine, c’est que leur nombre augmente avec le temps, aux environs de 3% par an.

Dès lors, on peut de manière paradoxale estimer que la – très relative – stabilisation de nouveaux diagnostics positifs tend a montrer que les politiques de prévention ne sont pas si inefficaces que ça puisque, mathématiquement, les chiffres devraient augmenter en proportion de la population atteinte.

Un indice est donné par la mesure de la précocité du diagnostic. Plus le taux de Lymphocites T4 au moment du diagnostic est faible, plus le diagnostic est tardif (un diagnostic est considéré comme tardif lorsque les T4 sont inférieurs à 350/mm3, une personne en bonne santé ayant un taux de 1.000 et il est de 200 lors du passage au stade sida). Sur les 15 dernières années, le nombre de diagnostics tardifs est passé de 59% à 41%. C’est donc globalement une tendance encourageante, même si on mesure le chemin qu’il reste à parcourir. Notons aussi que les gais, cibles privilégiées des politiques de prévention, font descendre ce taux de diagnostic dans la catégorie des hommes ayant des relations avec des hommes (HSH) à 30%. La prévention a donc un impact significatif auprès des publics cibles.Mais alors, pourquoi l’incidence de l’infection à VIH ne diminue-t-elle pas de manière plus marquée ? Il y a à cela plusieurs éléments de réflexion qui mériteraient d’être creusés.

Premièrement, il y a encore une marge appréciable d’intensification du dépistage. La proportion de personnes découvrant leur séropositivité au moment où le sida se déclare est de 42% ! Donc, 64 tests par an et par 1.000 habitants, cela reste beaucoup trop peu. Idéalement, toute personne ayant des comportements sexuels à risque devrait se faire dépister régulièrement. Selon l’enquête santé en Belgique de 2004, réalisée par interview auprès de 8.868 personnes, 7,1% d’entre elles reconnaissent des comportements sexuels plus ou moins à risque. Si l’adéquation était totale entre les personnes qui se font dépister et celles qui prennent des risques, il faudrait que le nombre de tests par an et par habitant s’établisse au moins à 71/1.000.

Mais en fait, ce chiffre doit atteindre des niveaux significativement plus élevés car, justement, il y a une grande disparité entre le public qui se fait dépister et le public ayant des comportements sexuels à risque. Une simple illustration de ce décalage est donnée par les statistiques de l’INAMI, selon lesquelles les premiers prescripteurs de tests à VIH sont … les gynécologues ! Quasiment toute femme enceinte – cela fait désormais partie des protocoles – fait l’objet d’un dépistage, indépendamment du fait que 61% des femmes, selon l’enquête santé de 2004, ont un seul et même partenaire stable.

Par ailleurs, le nombre de tests réalisés en région bruxelloise, significativement plus élevé que dans le reste du pays puisqu’il dépasse 110/1.000 depuis plusieurs années, ne semble pas suffisant pour épuiser le « stock » de séropositifs ignorants. Le nombre de tests positifs y demeure en effet, avec Anvers, le plus élevé du pays.

Enfin, une partie de la population qui se fait dépister le fait sur une base semestrielle, voire plus fréquemment encore, proportion à rajouter à un objectif de dépistage annuel.

Les politiques de dépistage et de promotion de celui-ci doivent donc encore s’intensifier massivement en Belgique.

Mais ce n’est pas suffisant.

L’infection à VIH est rare. Le virus est très peu transmissible. Songez : il y a en Belgique, chaque année, quelque chose comme 500 millions de relations sexuelles. Seules entre 1.000 et 2.000 d’entre elles donnent lieu à la transmission du virus. Autant dire qu’identifier les profils de comportement à risque et en déduire les publics vulnérables relève de la performance. Et cela ne se fait pas, ou ce qui est fait en la matière n’est pas suffisamment pris en compte. Nous restons, depuis quasiment le début de l’épidémie, avec une vision particulièrement grossière des « populations à risque ». Pour la Belgique, elle se résume au groupe des « HSH » et au groupe des migrants d’origine africaine subsaharienne. Cette vision est d’autant plus biaisée que le rapport annuel élude une fameuse marge d’erreur : en 2012, dans 28% des diagnostics d’infection, l’origine probable de la transmission est inconnue, malgré les 11 mois nécessaires à la publication des statistiques. Cette proportion de cas mal documentés se reproduit depuis des dizaines d’années sans qu’aucun effort ne soit fait pour tenter de le réduire.

Impossible sur ces bases d’imaginer un seul instant qu’en concentrant les politiques de prévention sur ces deux publics cibles nous puissions arriver à provoquer le reflux tant recherché et attendu de l’épidémie. Si la prévention ne doit pas se réduire auprès de ces publics, il est impératif de définir de manière bien plus fine les nouvelles cibles de la prévention, d’autant que les rencontres entre ces différents publics réduisent l’efficacité de la prévention orientée vers un public cible spécifique.

Cela ne se peut que si la volonté existe d’améliorer aussi les outils de suivi épidémiologique et d’en exploiter pleinement les informations. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Le plan2014-2019 prévoit diverses mesures visant l’amélioration de la connaissance des modalités épidémiologiques. Plus de 30 ans après la découverte du virus, ce n’est pas du luxe, c’est une nécessité absolue.

Thierry Delaval.

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