"Vivre avec le VIH" : retour sur notre rencontre avec Jean-Luc Romero

A l'approche du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, c'est pour son expertise dans le domaine que nous avons convié Jean-Luc Romero à la Maison Arc-en-Ciel de Namur afin d'y donner une conférence intitulée : "Vivre avec le VIH". Retour sur une rencontre riche et humaine.

En lisant votre biographie, on ressent immédiatement la force de votre engagement. Où allez-vous la puiser ?

Paradoxalement, je la puise dans ma séropositivité. J'en ai fait un atout en appréciant la vie différemment. J'ai vu mourir tellement de gens jeunes. Ça m'a donné la conception de la mort. Nous sommes dans un mode de vie ou nous courons sans cesse. Nous courons après l'argent, après le succès ou le pouvoir, pour bien souvent réaliser au premier pépin de santé venu qu'on est sans doute passé à côté de notre vie. Du coup, j'ai vécu au jour le jour. Je n'ai pas fait de projets à long terme, car je ne pensais pas avoir la possibilité de vivre si longtemps. Ma génération a été particulièrement touchée. J'ai perdu tous les proches qui m'entouraient à mes 20 ans et je trouve la force de me battre en pensant à eux et à tout ceux qui ne peuvent plus le faire.

Vous parlez ouvertement de votre séropositivité. Qu'est-ce que cela vous apporte sur le plan personnel ? Que pensez-vous que cela apporte à l'opinion publique ?

J'ai appris ma séropositivité en 1987. Quand j'ai créé l'association ELCS (Elus Locaux Contre le Sida) en 1995, je n'avais toujours pas parlé publiquement de mon statut sérologique. En 2002, lors d'un déplacement dans le cadre des actions mises en œuvre par cette association, un homme m'a remercié en me disant : "...quand même, vous ne pouvez pas comprendre ce qu'on vit...". Je me suis alors convaincu que le dire était la bonne décision. Un mois plus tard, j'ai décidé de rompre le silence. Étant un personnage public, investi en politique, on me déconseillait vivement de parler de ma séropositivité. Ce fut pourtant pour moi une véritable libération, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela m'a protégé, car d'un point de vue professionnel, je n'étais plus attaquable sur le sujet. Ensuite, je suis convaincu que lorsqu'on se cache, on ne se soigne pas. Je suis peut-être passé à côté de la carrière politique à laquelle je me destinais, mais je n'ai aucun regret.

J'ai choisi d'être militant pour que mon combat personnel soit un combat collectif. Je reçois souvent, via les réseaux sociaux, des messages de jeunes en détresse ou en questionnement. C'est étrange de constater que les séropositifs sont plus isolés aujourd'hui qu'il y a 30 ans. Moi je n'ai jamais connu le rejet. En ce sens, je suis privilégié.

Vous avez un certain recul, depuis la dépénalisation de l'homosexualité en France à l'apparition du Sida qui a suivi, jusqu'à aujourd'hui. Quel regard portez-vous sur la façon dont les LGBT se comportent face au VIH ?

Il ne faut pas généraliser, mais on est passé d'une vraie solidarité à une culpabilisation. Avant, quand on le disait à nos potes, il y avait de la compassion, du soutien et de l'entraide, maintenant on est dans le jugement, surtout chez les jeunes. Le milieu LGBT est particulièrement touché. Grâce aux différents traitements, la longévité d'une personne séropositive est semblable ou presque à celle d'une personne séronégative. Mais il faut insister sur le fait que les conditions de vie ne sont pas les mêmes. Il faut parler des traitements et de leurs effets secondaires. Il faut citer les maladies qui en découlent. Il faut parler de cette réalité. Or, la réaction première, dans notre société où il faut être toujours plus beau, toujours plus jeune est de ne pas parler de la maladie. Il faut aussi faire comprendre à la jeune génération que le sida n'est pas une maladie de "vieux". Qu'ils ne sont pas hors de portée de ce virus ! Comment peut-on culpabiliser une partie de la population et refuser que ce soit une question politique au même titre que la lutte contre l'homophobie ?

Comment lutter contre la sérophobie, en général mais aussi, au sein de la communauté LGBT ?

Le problème ne sera jamais résolu tant que la maladie existera. Si l'on ne parle pas du sida, on ne peut lutter contre ce qui est invisible. Il faut donner aux gens les conditions de dire les choses. A Paris, 40 000 personnes vivent avec le VIH. Personne ne le dit, donc ça crée des fantasmes. 21 % des Français croient encore qu'on peut contracter le virus avec un moustique ! Il y a un véritable retour en arrière de l'information donc aussi de l'acceptation. Il n'y a plus assez de campagnes sur le sida.

Il est bon de rappeler aussi que dans les années 1980, quand la presse parlait de "cancer gay" ou de "peste rose", les pouvoirs publics ne voulaient pas entendre parler du problème. C'est la communauté LGBT qui a pris les choses en main. Si aujourd'hui nos représentants pensent que les avancées thérapeutiques relèguent les questions autour du VIH au second plan, c'est aux LGBT de porter cette problématique comme une lutte politique.

Si l'homophobie peut être pénalisée, la sérophobie n'est pas autant protégée. Une étude relayée par Sida Info Service il y a 3 ou 4 ans démontrait que 50 % des personnes révélant leur séropositivité étaient licenciées dans les 6 mois. J'ai pourtant eu la chance d'avoir une vie professionnelle très riche et très efficace. Les gens malades, ceux qui ont l'impression qu'ils doivent constamment faire leurs preuves sont des employés très dévoués.

Quel est votre avis sur les nouveaux modes de prévention ?

En 2015, en France, 70% des infections sont faites par des gens qui ne connaissent pas leur statut. La prévention combinée s'impose.

Lorsque j'étais au Conseil National du Sida, nous avons eu une réflexion sur l'autotest. A l'époque, j'étais réticent car cette méthode laisse la personne seule face à un diagnostic. Maintenant, et quand je vois les chiffres d'infections annuels, je me dis qu'il faut un maximum de moyens et l'autotest en est un. Il touchera peut-être un public peu enclin à se déplacer pour se faire dépister. Il y a néanmoins une ombre au tableau : le prix de ce test. 28 euros, c'est trop ! Le dépistage doit aussi être une priorité chez les gens plus précarisés. Les associations LGBT devraient pouvoir être en mesure de distribuer massivement ces autotests !

Quant au Truvada, l'accès gratuit est permis provisoirement depuis quelques jours dans des centres ou via des médecins. Le mode proposé en France est de 2 comprimés avant le rapport sexuel et 1 après. Les résultats sont identiques en comparaison avec la prise régulière du médicament mais l'avantage est double. Il réduit le coût et les effets secondaires. Si ce traitement soulève certaines questions éthiques, il faut sans cesse rappeler que permettre à des gens de ne pas devenir séropositif est bien plus important, qu'une personne séronégative sous traitement préventif coûte moins cher à la Sécurité Sociale, et que c'est un pas concret vers la fin du sida !

Et le vaccin dans tout ça ?

Vu le nombre d'essais prometteurs qui se sont avérés nuls, je reste prudent et sceptique à chaque nouvelle annonce. Pour le moment, il n'y a rien de neuf de ce côté. 25 milliards de dollars par an sont nécessaires pour mettre le monde entier sous traitement. Cela peut paraitre énorme mais quand on sait qu'on en a trouvé 3 mille milliards pour sauver les banques. No comment...

Au moment précis où je termine d'écrire ce compte rendu, la confirmation de la mise en vente de l'autotest en Belgique me parvient (probablement dès février 2016). Même si, comme M. Romero, nous déplorons son prix, nous ne pouvons qu'accueillir positivement tout moyen supplémentaire pour contrer la maladie !

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